ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 1052

NOUVELLES ORDINAIRES DE DIVERS ENDROITS (1631)

1Titres Nouvelles ordinaires de divers endroicts.

2Dates Premier numéro connu: le nº 27 du 17 juillet 1631. Dernier numéro connu: le nº 49 du 19 décembre 1631. Hebdomadaire daté du jeudi (17 juil. - 11 sept.) puis du vendredi (19 sept. - 19 déc.).

3Description 23 cahiers de 4 p. in-4º chacun, paginés 1 à 4, numérotés 27 à 49, signés à la suite A, B, C, etc., jusqu'à Z (nº 49, 19 déc.); une irrégularité, le nº 35 (11 sept.) est signé A, les signatures habituelles reprenant avec le nº 36 (19 sept.) signé K. Le format est de 157 x 216. Le titre ne porte aucun décor, mais le début du texte de chaque numéro est orné d'une vignette haute de 4 à 5 lignes; certaines sont semblables à celles de la Gazette de Renaudot: nº 29 (31 juil.), 36 (19 sept.), 39 (10 oct.); le nº 49 (19 déc.) ne portant pas de vignette, débute sur une simple lettre capitale. Tous ces numéros sont reliés dans un volume contenant une série dépareillée de cahiers des années 1631-1632 de la Gazette et des Nouvelles ordinaires de Renaudot.

4Publication Les quatre premiers numéros conservés, comme les cinq premiers cahiers de la Gazette, ne portent pas l'adresse de leur éditeur. Le 14 août (nº 31) apparaît le premier colophon: «A Paris, chez Iean Martin sur le Pont S.Michel à l'Anchre double. Et chez Louys Vendosme dans la Cour du Palais, Place du Change, à la Ville de Venise». Les trois numéros suivants portent la même adresse, cependant que le nº 35 (11 sept.) se singularise encore en étant sans colophon. A partir du nº 36 (19 sept.), l'adresse est plus courte: «A Paris, chez Louys Vendosme, dans la Cour du Palais, Place du Change, à la Ville de Venise». En dehors des numéros 43 et 44 (7 et 14 nov.) qui ne portent pas d'adresse, tous les numéros suivants, jusqu'au nº 47 (5 déc.) sont ainsi «domiciliés». Les deux derniers numéros (48 et 49, 12 et 19 déc.) portent la simple mention «A Paris».

5Collaborateurs L'auteur, Jean EPSTEIN, bourgeois de Paris, d'origine allemande et de religion calviniste, tenait un véritable bureau de traduction des gazettes étrangères, venues des Pays-Bas et d'Allemagne. Le 9 juillet 1631, il s'associe par acte notarié à l'imprimeur Jean Martin et au libraire Louis Vendosme (acte publié par G. Jubert, p. 161-162):

ledict sieur Epestein a promis et promect faire venir et apporter toutes les septmaines d'Allemagne les nouvelles courantes communément appellées Gazettes, les rendre traduictes et translatées en francois en telle sorte qu'elles puissent estre receues et avoir cours — à commencer vendredy unziesme jour des presens moys et an et continuer de la en avant par chacune sepmaine audict jour. Ce qu'il effectuera tous les jeudys avant midy pour estre si faire se peult le mesme jour imprimées et assistera icelluy sieur Epestein à l'impression et correction desdictes nouvelles pour estre lesdictes nouvelles vendues et distribuées le vendredy de bonne heure.

Et sera aussy tenu icelluy sieur Epestein supporter la tierce partye de tous les frays et despens qui se feront en ladicte composition, impression, publication et distraction desdictes nouvelles.

Par mesme moyen est convenu que lesdicts Martin et Vendosme seront tenuz asseurer et s'obliger comme ilz promectent et s'obligent que lesdictes nouvelles pourront estre exposées en vente sans aulcun peril ni danger.

A ces fins poursuivront iceulx Martin et Vendosme — à leurs frays, dilligence et despens — les permissions et licences necessaires à ladicte exposition, mesmes obtiendront previllege si faire se peult, sinon lesdictes licences et permissions après qu'elles auront esté levées et relevées par personnes ayans à ce pouvoir, à ce que rien ne soit faict contre l'honneur de Dieu et service du roy, bien et repos de son royaume sans offense de qui que ce soit.

Et tous lesdicts susnommez comparans promectent de porter chacun d'eulx la troisiesme part de tous frays et despens necessaires à ladicte fourniture et exposition desdictes nouvelles jusques en cette ville de Paris, le tout modéré en quatre livres pour chacune septmaine.

Lesquelles nouvelles seront promptement imprimées et en tel nombre d'exemplaires que lesdictes partyes adviseront sans perdre temps ny occasion de proffiter de la vente desdictes nouvelles.

Et seront lesdictes nouvelles baillées par compte à l'une et à l'autre desdictes partyes pour en faire le debit soit en ceste ville de Paris soit hors d'icelle et se tiendront icellesdictes partyes bon et fidel compte l'une d'elles à l'autre de tout ce qu'elles en auront vendu pour estre partager entre elles par tiers esgalement et de bonne foy.

Après la disparition des Nouvelles ordinaires, Epstein continua ses traductions dont profitaient Renaudot et quelques autres pourvoyeurs de nouvelles, par exemple l'écrivain Jean Chapelain. Ce dernier dirigeait un véritable bureau de nouvelles multipliant chaque semaine les copies d'une gazette manuscrite envoyée à des grands nobles alors en campagne dans les armées du roi ainsi qu'à quelques amis, tels Balzac et Godeau. Epstein ne se contentait pas de traduire les nouvelles étrangères, il proposait lui aussi une gazette manuscrite reçue en 1636 par le duc Bernard de Saxe-Weimar, en 1639-1640 par le marquis de Montausier. Il n'envoyait pas seulement des nouvelles du «septentrion» ou «de Hollande et d'Allemagne», il donnait aussi des informations sur la guerre franco-espagnole: «Monsieur, écrit, le 10 août 1640, Chapelain à Montausier, je ne vous diray point le détail de ce qui s'est passé à l'attaque de nos retranchemens d'Arras pour ne pas courir sur le marché du bon Espestein et pour ne remplir pas tout ce papier de nouvelles de guerre» (Lettres de Jean Chapelain). Epstein, toujours lui, fournissait à la nation allemande de l'université d'Orléans les nouvelles d'Allemagne. L'assesseur de l'université lui écrit d'envoyer des nouvelles chaque semaine, le dimanche, s'il est possible, et de les donner sans parti pris, avec exactitude et brièveté: «estans intéressés par nos biens et parens aux affaires d'Allemagne, nous sommes bien aise de scavoir les choses comme elles vont» (J. Mathorez, cité par G. Jubert). Pressé par le duc de Saxe-Weimar puis par Chapelain, le chancelier finit par reconnaître les bons services d'Epstein en lui accordant à la fin de 1639 ou au début de 1640 la nationalité française. Mais ce dernier donna une telle ampleur à son «industrie» qu'il finit par gêner Renaudot. Le gazetier obtint le 31 juillet 1646 un arrêt du Conseil d'Etat interdisant à Epstein «et plusieurs autres» de faire «ordinairement des assemblées où ils rapportent comme dans un bureau tout ce qu'ils apprennent» et de composer, écrire à la main ou copier «des nouvelles à leur fantaisie», «desquels écrits ils débitent très grande quantité tant en la ville de Paris qu'ailleurs au préjudice du service de Sa Majesté» (A.N., V4 1499, fº 155-160, 11e pièce enregistrée).

De religion calviniste comme son confrère Louis Vendosme, Jean Martin a été reçu libraire à Paris, en 1624. Il est maître imprimeur, demeurant sur le pont Saint-Michel, paroisse Saint-Séverin. Comme certains de ses confrères, il s'est spécialisé dans l'édition de feuilles volantes d'actualité, ainsi que le prouvent les catalogues de la Bibliothèque nationale et des bibliothèques américaines (catalogue Lindsay et Neu). Quelques-unes de ces pièces concernent les affaires allemandes: Dernières nouvelles d'Allemagne, de Hongrie et de Hollande [...] Ensemble le mécontentement des chefs des armées de l'empereur [...] Plus la déffaite du duc de Saxe..., 1627; Recit veritable de la vie et de la mort dv comte de Mansfelt. Ensemble les dernieres paroles qu'il a tenuës, estant vestu de ses plus riches habits..., 1627, 15 p.; Relation veritable de ce qui s'est fait et passé entre les armees de l'empereur et celles du roy de Suede en la presente annee 1630. Selon les memoires enuoyez d'Allemagne..., 1630, 30 p.; La déffaite des impérialistes par le roy de Svede, 1631; La prise de la ville de Rostoc par les ducs de Mecklebourg, 1631.

En revanche, Louis Vendosme, demeurant rue des Canettes, paroisse Saint-Pierre-aux-Bœufs et uniquement libraire depuis au moins 1627, ne semble avoir publié aucun occasionnel. Le seul où l'on trouve son nom est distribué en décembre 1631, édité en association avec Jean Martin: L'Histoire dv progrez des armes dv roy de Svede en Allemagne. Auec ce qui s'est passé de plus memorable en la bataille de Leipsic [...] Le tout escrit par un gentil-homme, du camp du roy de Svede, à un seigneur de qualité, 1631, 48 p.

6Contenu F. Dahl (p. 30-34) a bien montré que les Nouvelles ordinaires, tout à fait semblables à la Gazette, dans leur format, dans leur cadre rédactionnel — c'est une succession de nouvelles venues de différentes villes européennes, dont les plus anciennes, d'abord insérées, sont suivies par les plus récentes — et même dans leur disposition graphique — l'origine de la nouvelle et sa date sont imprimées en marge du texte —, ont un contenu différent. Les deux gazettes concurrentes ne sont en aucune manière la contrefaçon de l'une par l'autre. La Gazette a un contenu plus varié, au moins dans la provenance de ses nouvelles: entre juillet et décembre 1631, F. Dahl a compté 84 villes différentes dans la feuille de Renaudot, mais seulement 59 dans les Nouvelles ordinaires. Si l'on examine la liste des villes qui ont fourni au moins 5 nouvelles, on s'aperçoit qu'en dehors de Venise (18 nouvelles) et de Rome (9), toutes les correspondances insérées dans les Nouvelles proviennent des Pays-Bas ou d'Allemagne; le contenu de la Gazette est plus diversifié: aux villes du Nord viennent s'ajouter Rome (24), Paris (18), Madrid (15), Constantinople (15), Venise (14), Naples (7), Fernambouc (6) et Château-Thierry (6). Lorsque les deux gazettes portent en même temps une nouvelle venue de la même ville, de même date et portant sur le même événement, les deux textes sont assez différents pour que la réécriture des deux traducteurs ne puisse suffire à expliquer le phénomène: dans ces cas-là, il s'agit manifestement de deux sources différentes.

7Exemplaires Ars., 4º Rés. H. 8918 (2): une collection complète, nº 27 - nº 49 (17 juil. - 19 déc. 1631); – 4º H. 8918 (1): nº 36 et 37 (19 et 26 sept. 1631), reliés après les Gazette de 1631; B.R. Stockholm: nº 42 (31 oct. 1631), dans un recueil de la Gazette pour l'année 1631.

8Bibliographie Dahl F., Petibon F. et Boulet M., Les Débuts de la presse française: nouveaux aperçus, Göteborg et Paris, 1951. – Jubert G., «La Légende dorée de Théophraste Renaudot», Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, 4e série, t. XVI, 2e trimestre 1981, p. 141-162. – Feyel G., «Richelieu et la Gazette», Richelieu et le monde de l'esprit, catalogue de l'exposition organisée en Sorbonne sous la direction d'A. Tuilier, Paris, novembre 1985, p. 205-216. – Idem, «Richelieu et la Gazette. Aux origines de la presse de propagande», Richelieu et la culture, actes du colloque international en Sorbonne, sous la direction de R. Mousnier, Paris, 1987, p. 103-123. Sur Jean Epstein: – Lettres de Jean Chapelain, de l'Académie française, publiées par P. Tamizey de Larroque, Paris, 1880-1883, t. I. – Mathorez J., Les Etrangers en France sous l'ancien régime, t. II, «Les Allemands, les Hollandais, les Scandinaves», Paris, 1921, p. 25. – Un catalogue des occasionnels: – Lindsay R.O. et Neu J., French political pamphlets, 1547-1648. A catalog of major collections in American libraries, University of Wisconsin Press, 1969.

Historique La querelle de l'antériorité. Au début des années 1950, Folke Dahl, Fanny Petibon et Marguerite Boulet déboutaient Théophraste Renaudot, le créateur de la Gazette, de ses prétentions à être le fondateur de la première feuille périodique imprimée en France. Tous trois avaient découvert que les libraires Jean Martin et Louis Vendosme avaient publié à Paris une feuille hebdomadaire, les Nouvelles ordinaires de divers endroicts, dont le premier numéro connu, le nº 27, était daté du 17 juillet 1631. Marguerite Boulet avait mis au jour une requête présentée «Au Roy et à nos seigneurs de son Conseil par les syndics et adjoints de la communauté des Imprimeurs, Libraires et Relieurs, comme protestation contre Théophraste Renaudot et sa Gazette et contre ses efforts de monopolisation aux despens de tous les libraires, non seulement de Paris, mais de toute la France...», et avait daté ce factum imprimé de la fin octobre ou du début novembre 1634. Les libraires y affirmaient: «Aussi les entreprises dudit Renaudot, Sire, ne sont fondées que sur des suppositions et faux donnez à entendre. Les Supplians justifient, Qu'il n'est le premier inuenteur de la Gazette, comme il presuppose, vn nommé Vendosme l'ayant imprimée à Paris long temps deuant luy». Ainsi devenait-il évident que les Nouvelles ordinaires avaient précédé la Gazette, et que leur premier numéro était probablement paru le 16 janvier 1631. Ainsi comprenait-on mieux pourquoi une longue suite d'actions judiciaires avait opposé Renaudot et les libraires: Vendosme et ses confrères s'étaient efforcés d'empêcher le gazetier de leur voler leur invention. La cause paraissait entendue: bien éloigné d'être «le premier inventeur de la Gazette», ainsi qu'il l'a affirmé à trois reprises (Préface du recueil des gazettes de 1631, Relation des nouvelles du monde receuës tout le mois de février 1632, p. 87, Relation des nouvelles du monde receuës tout le mois de janvier 1633, p. 41), Renaudot n'était que le plagiaire de ses concurrents.

Tout cela apparaît beaucoup moins sûr aujourd'hui. Certes le premier numéro connu des Nouvelles ordinaires laisse supposer que 26 numéros l'ont précédé. Mais, dans ce cas, pourquoi ce numéro 27 est-il signé A? De A à Z, les imprimeurs ne disposaient que de 23 lettres pour signer les cahiers de leurs impressions; le J, le U et le W, confondus avec le I ou le V n'étaient pas employés. Après les 23 premiers numéros, les cahiers suivants auraient dû être signés Aa ou A2, Bb ou B2, etc. Pour sa part, le numéro 27 aurait dû se trouver signé Dd ou D2. Enfin, comme les 5 premiers cahiers de la Gazette, les 4 premiers numéros connus des Nouvelles ordinaires (nº 27-30, 17 juil. - 7 août 1631) ne portent pas l'adresse de leurs éditeurs. N'y a-t-il pas là quelques indices tendant à suggérer que les Nouvelles ordinaires n'ont pas été imprimées avant leur 27e numéro?

Récemment publié par Gérard Jubert, le contrat d'association entre Jean Martin, Louis Vendosme et Jean Epstein semble confirmer, et par ses clauses (voir plus haut), et par sa date, que le premier numéro imprimé des Nouvelles ordinaires est bien le nº 27 du 17 juillet 1631. Rien n'y indique une quelconque collaboration antérieure d'Epstein et des libraires. Tout au contraire, il apparaît clairement que les trois hommes s'associent pour fonder une nouvelle gazette. Si les Nouvelles ordinaires existaient déjà depuis 6 mois, il est bien étrange que l'acte n'ait pas mentionné au moins une fois leur titre; seul leur contenu est désigné par l'expression — «les nouvelles courantes communément appelées Gazette» — ou bien tout simplement par ces deux mots — «les nouvelles». Autre détail paraissant indiquer une création à venir: les libraires doivent demander une permission pour vendre la feuille, et «si faire se peult» obtenir un privilège. Dernier indice emportant la conviction: la date même de l'acte, le 9 juillet 1631, un acte qui prévoit que la gazette sera pour la première fois distribuée le vendredi 11 juillet — «à commencer vendredy unziesme jour des presens moys et an et continuer de la en avant par chacune sepmaine audict jour» —, alors que le premier numéro connu des Nouvelles ordinaires est daté du jeudi 17 juillet!

Mais alors, pourquoi cette numérotation 27? Peut-être Epstein avait-il tout simplement rédigé jusque-là, comme il le fera plus tard, nous en avons la preuve, une gazette hebdomadaire manuscrite dont étaient déjà parus les 26 premiers numéros? Autre objection: la requête d'octobre-novembre 1634 affirme que Vendosme a imprimé la Gazette à Paris «longtemps devant» Renaudot, qui n'en est pas «le premier inventeur». Sans discuter du caractère de cette dernière source, un plaidoyer pro domo produit par les libraires afin de faire annuler le privilège du gazetier, on peut tout de même observer qu'il existe une certaine ambiguïté dans l'appellation «Gazette» qui pouvait tout autant désigner une feuille hebdomadaire comparable à la Gazette de Renaudot, que les nombreux occasionnels, les «bulletins d'information» effectivement imprimés depuis plusieurs années, sinon par Vendosme qui n'était que «marchand libraire», du moins par ses confrères imprimeurs, tel Jean Martin. A partir d'octobre 1631, le libraire de Rouen Claude Le Villain distribue Le Courrier universel, gazette hebdomadaire dont chaque «suite» reproduit conjointement un numéro de la Gazette et des Nouvelles ordinaires de Vendosme (numéro des 24 oct., 7, 14, 21 et 28 nov.). Si ces dernières avaient été imprimées «depuis longtemps», il est étonnant que ce libraire rouennais ou l'un de ses confrères, qui eux aussi distribuaient de nombreux occasionnels réimprimés par leurs soins, ne se soient pas lancés beaucoup plus tôt dans la distribution d'une feuille hebdomadaire (voir la notice du Courrier universel).

Si Renaudot est bien «l'inventeur» de la Gazette, comment expliquer la longue série d'actions judiciaires l'opposant aux libraires? Lorsque le 16 septembre 1631, Vendosme ouvrit les hostilités, il ne revendiqua pas la paternité des gazettes. Il s'agissait pour lui de bien autre chose: qui de Renaudot ou de la communauté des imprimeurs et libraires obtiendrait le privilège qui lui permettrait d'écraser la feuille concurrente. Déjà, Renaudot avait réussi à débaucher Epstein en août ou au début de septembre. Si les libraires laissaient faire, ils risquaient de perdre l'impression et la distribution, non seulement des feuilles hebdomadaires (Gazette ou Nouvelles ordinaires), mais aussi des occasionnels, source appréciable de revenus: «Il [Renaudot] s'avisa de recercher tellement ledit Epstin, qu'il l'obligea de luy fournir les Memoires et Traductions qu'il fournissoit ausdits Imprimeurs, suivant le contract qu'il avoit fait avec eux, lesquels au mesme instant mirent en procez ledit Renaudot, et eurent trois Sentences contre luy du Baillif du Palais, soustenans qu'il n'estoit Imprimeur, qu'il ne pouvoit faire leur fonction, et encore moins empescher ledit Epstin de continuer à leur fournir ladite Gazette» (Requête de 1634).

Il ne s'agit pas ici de décerner des brevets de moralité à l'une ou l'autre partie, comme on l'a trop fait jusqu'à présent. Certes Renaudot s'est arrangé pour débaucher Epstein et tuer ainsi la feuille concurrente. Cependant, il est impossible, en l'état actuel du dossier, de l'accuser de plagiat: fondée le 30 mai 1631, la Gazette serait bien la première feuille hebdomadaire jamais publiée en France. Pour contester définitivement son antériorité, il faudra découvrir de nouvelles pièces, tel un seul des 26 hypothétiques premiers numéros des Nouvelles ordinaires. Il n'est nul besoin de revenir ici sur tous les procès que Renaudot eut à subir ou à engager. Retenons simplement que le pouvoir royal a constamment appuyé le gazetier dans cette longue lutte qui s'acheva en février 1635 sur la défaite définitive des libraires et la création d'un véritable monopole de l'information au bénéfice de l'Etat monarchique.

Gilles FEYEL

 


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