ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 496

GAZETTE DES PETITES ANTILLES (1774-1776, 1778, 1784-1785)

1Titres Gazette des Petites Antilles, titre encadré avec en dessous l'indication de la date et du numéro.

A la fin de la deuxième année (t. II, nº 52, 2 juil. 1776), la publication de la Gazette des Petites Antilles cesse et est remplacée par celle de l'Observateur américain. Par la suite le titre est relevé à deux reprises, en 1778 et en 1784. Dans les deux cas, le journal publié se présente comme une «continuation» de la Gazette des Petites Antilles fondée en 1774.

2Dates 5 juillet 1774 - 2 juillet 1776. Hebdomadaire publié régulièrement le mardi. Un volume par an.

Mercredi 15 avril - 12 août 1778, avec une interruption de près d'un mois entre les nº 11 (24 juin) et 12 (22 juil.). Elle cesse de paraître avec le nº 15 du 12 août 1778.

Jeudi 25 novembre 1784 - 10 février 1785 (nº 11). A partir du nº 12, les livraisons ne sont plus datées et la parution devient très irrégulière. Certains numéros de cette dernière série portent un titre différent (Courrier extraordinaire de la Guadeloupe [nº 5]; Courrier extraordinaire [nº 10, 13, 18]; Courrier du cabinet [nº 12]), mais la pagination comme la numérotation des livraisons sont respectées.

3Description Le numéro paraît sur 4 p. à 2 colonnes, avec des suppléments occasionnels de 1 ou 2 p. Cahiers de 320 x 200, in-folio (1774-1776; 1778); 195 x 310, in-folio (1784).

Pagination continue pour chaque tome, sauf pour les suppléments qui sont paginés séparément.

Devises: Amicus Socrates, Amicus Plato, Magis Amica Veritas (1775-1776); «C'est au sein de la la Liberté / Qu'on doit trouver la Vérité» (1784).

Sans illustrations.

4Publication A Roseau, île de la Dominique. Imprimeurs: Roger Jones (1774-1775; 1778); Charles Dunn (1775-1776); J. Berrow (1784).

La Gazette des Petites Antilles était largement diffusée aussi bien dans les îles anglaises où étaient établis des colons d'origine française, à Saint-Vincent ou à la Grenade par exemple, que dans les possessions françaises de la mer des Antilles. Elle avait notamment plusieurs dépositaires dans les deux îles qui encadrent la Dominique, la Guadeloupe au nord et la Martinique au sud. En 1774, par exemple, elle se vend chez Falques à Basse-Terre, Auffay à Pointe-à-Pitre, Enfanton et Berne à Saint-Pierre.

En 1784, le prix de l'abonnement annuel est de une moëde pour les Antilles, deux pour l'Europe. Selon le rédacteur, on pouvait trouver la Gazette des Petites Antilles, au début de 1785, dans les grandes villes portuaires, Nantes, Bordeaux, Marseille; à Versailles, à la grille du château et devant les bureaux de la Guerre et de la Marine; à Paris, au bureau du Journal de Paris, au café Conti et à la compagnie des Judes (1784, p. 48).

5Collaborateurs REYNAUD; Pierre-Ulrich DUBUISSON (1774-1776).

6Contenu Principales rubriques, dans leur ordre de publication: 1) «Lettre à l'Editeur»; 2) «Nouvelles des Isles»; 3) «Correspondance ultérieure» (nouvelles d'Amérique et d'Europe); 4) «Articles miscellanes»; 5) Avis divers; 6) Prix courants (prix des principales denrées et marchandises importées; prix des denrées de la colonie).

7Exemplaires Collections consultées: A.N., ministère des Affaires étrangères, 258 B 9: 5 juil. 1774 - 4 juil. 1775, 51 numéros, 201 p.; 11 juil. 1775 - 2 juil. 1776, 52 numéros, 208 p.; 15 avril - 12 août 1778, 15 numéros, 60 p.; B.N., Rés. Fol. Nd 52 (1) et (2): 1775-1776 (manquent nº 5, 44 et 48), 1784-1785, Prospectus, nº 2, 4-6, 8-15, 18, 20-23); Public Library, New York, 1784 (nº 1-9, 14, 19-26).

8Bibliographie Dorlodot A. de, «Les Journaux des Antilles à l'époque de la guerre d'Indépendance américaine», dans Annales de la Fédération historique et archéologique de Belgique, 35e Congrès, Courtrai, 1955, p. 380-388.

Historique Passée sous domination anglaise à la suite du traité de Paris, la Dominique comptait de nombreux colons d'origine française qui s'y étaient établis au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, alors que l'île jouissait officiellement du statut d'île «neutre». Après 1763, la plupart de ces colons restent à la Dominique, les clauses du traité leur garantissant la conservation de leurs droits et propriétés. C'est cependant moins à cette population française de l'île qu'est destinée la Gazette des Petites Antilles, publiée en français, à Roseau, à partir du 5 juillet 1774, qu'aux habitants des possessions françaises de la mer des Antilles: «notre feuille, soulignent à plusieurs reprises ses rédacteurs, est principalement consacrée à l'utilité des colonies françaises», et se veut «le fidèle dépositaire des événements qui peuvent [les] intéresser» (t. II, p. 81, 145, et passim). En fait, la Gazette des Petites Antilles profite de la «liberté anglaise» pour s'ériger en «censeur» des «opérations illicites [du] gouvernement oppresseur» des colonies françaises (t. I, p. 154; t. II, p. 131-132).

Selon l'auteur d'une note manuscrite en tête de la collection conservée au ministère des Affaires étrangères, la Gazette des Petites Antilles aurait été fondée par un «Français nommé Reynaud, négociant provençal réfugié à la Dominique», auquel aurait succédé «un autre Français, le Sieur D... créole de la Martinique». Plusieurs indices nous permettent d'identifier ce dernier: il s'agit de Pierre-Ulrich Dubuisson qui n'était pas à proprement parler un «créole de la Martinique» (il est né à Laval en 1746), mais dont le père, médecin du roi, était venu s'installer au Fort Saint-Pierre en 1750.

Lecteurs de Raynal, de Voltaire, de Rousseau, les rédacteurs de la Gazette des Petites Antilles sont acquis aux idées philosophiques, et c'est en «Philosophes» qu'ils conçoivent leur rôle de journaliste. Pour eux, «l'écrivain périodique», quand il n'est pas simplement un entrepreneur soucieux avant tout de «remplir son papier d'une foule d'avis [payants]», ne doit être ni un compilateur qui se borne à «transcri[re] servilement deux ou trois journaux dont il copie jusqu'aux erreurs», ni un «simple narrateur» qui s'en tient «au récit décharné des faits» sans y ajouter d'«observations» (t. I, p. 46, 54, 100; t. II, p. 189). A une époque où «les progrès de la Philosophie [achèvent] d'éclairer les nations», le journaliste se doit de prendre un «vol plus haut», d'être ce «philosophe observateur» qui, animé de «l'amour de l'humanité et du bien public», parle «le langage de la vérité et du patriotisme» pour «combattre sans relâche les abus», «rompre la chaîne des injustices», travailler à l'édification d'une de ces «contrées fortunées où les droits du corps social, loin de nuire à ceux de chaque individu, n'ont de force qu'autant qu'ils en ont pour opérer sa félicité». Bien que publiée sous «le titre commun de gazette», la Gazette des Petites Antilles cherche à «s'ennoblir» en se voulant à la fois «un recueil exact d'observations philosophiques» et «un Monument élevé contre l'oppression, un dépôt précieux des justes réclamations qu'excitent les abus multipliés qui grèvent journellement les Colonies [françaises]» (t. I, p. 1-6, 111, 154, 174; t. II, p. 1-2, 131).

Le contenu de la Gazette des Petites Antilles, les formes et l'organisation de son discours, reflètent cette conception du journal et du journalisme. D'entrée, en première page, un commentaire du rédacteur, ou, le plus souvent, une «lettre à l'éditeur» annotée et commentée, jouent en quelque sorte le rôle d'éditorial et permettent d'aborder les différentes questions politiques, économiques, sociales ou religieuses qui agitent la société coloniale. Ainsi sont tour à tour examinés, entre autres, les causes de la «décadence» de l'économie coloniale; le système d'imposition en vigueur aux colonies; le statut du «corps de la noblesse coloniale», celui des Chambres d'agriculture, des ordres religieux, des «milices», des «gens de couleur libres»; la question de la «dette des colons», celle de la «caisse des nègres justiciés», celle de la liberté du commerce en regard des «lois prohibitives» de la métropole; le problème de la traite, de l'esclavage et de la «contrebande des nègres» (passim).

En fin de journal, à la rubrique «Articles miscellanes», la satire vient relayer, alimenter ou égayer, la discussion d'idées. Elle est aussi le moyen de s'attaquer aux autorités politiques, militaires ou religieuses des colonies françaises, de révéler notamment au grand jour «les mystères suspects» de leur administration et de dénoncer la corruption, les abus de pouvoir, les «menées ténébreuses» de certains administrateurs, «petits tyrans subalternes» qui, une fois passé l'Equateur, exercent des «pouvoirs illégitimes» et agissent en véritables «ministres absolus de quelque despote asiatique» (t. I, p. 175; t. II, p. 2). «Philosophe attentif» qui médite sur l'homme et sur «la rotation des choses humaines», le journaliste est aussi «contraint par la vérité» d'être ce «petit baladin» qui fait «danser les marionnettes» afin d'«intimider l'oppresseur» et de secourir «la faiblesse qu'on opprime» (t. I, p. 1; t. II, p. 4).

Dans le corps du journal, aux rubriques «Nouvelles des Isles» et «Correspondance ultérieure», l'information proprement dite, qui est rarement donnée telle quelle. Les rédacteurs l'introduisent, la commentent, prennent soin d'en indiquer le degré de crédibilité comme de la choisir et de l'analyser en fonction de l'intérêt qu'elle peut présenter pour les colonies de la mer des Antilles en particulier, et, plus généralement, pour ce «Nouvel Hémisphère» dont celles-ci font partie. La rubrique «Correspondance ultérieure», par exemple, consacre une large place à l'évolution de la situation politique en Amérique du Nord, la révolte des colonies américaines contre leur métropole, «révolution importante [qui] s'opère presque sous nos yeux [...] [et qui] a des rapports directs avec notre manière d'exister», ne pouvant laisser indifférent (t. I, p. 5). La Gazette des Petites Antilles reproduit à ce sujet des articles extraits aussi bien des journaux anglais que des journaux publiés par les insurgés américains, donnant par exemple le texte de l'adresse du général Washington appelant les habitants du Canada à «se ranger sous l'étendard de la Liberté» pour «s'opposer à la force et à la tyrannie» (t. II, p. 67). Les choix d'éditeur, comme les prises de position directes ou les attaques menées sous le couvert de la satire, concourent à ce que les rédacteurs de la Gazette des Petites Antilles considèrent comme le but essentiel de tout journal, d'«exciter quelquefois le lecteur à penser» et donc à agir (t. I, p. 1).

Dès le début, la Gazette des Petites Antilles semble avoir connu un grand succès: les premiers numéros, épuisés, sont réimprimés pour satisfaire les nouveaux abonnés qui en font une condition de leur souscription, et, par la suite, toujours pour répondre à la demande du public, une collection complète de la première année, «corrigée et augmentée», est mise en vente (t. I, p. 26; t. II, p. 96, 176). Ce succès est sans doute dû avant tout aux prises de position du journal et à ce rôle de «réparateur des torts», de défenseur de «l'humanité gémissante» qu'il veut jouer (t. I, p. 154, 175; t. II, p. 17, 131), mais aussi à la manière dont ses rédacteurs conçoivent leur métier de journaliste et notamment au désir de ceux-ci de faire de la Gazette des Petites Antilles un journal vraiment «colonial», non pas une «simple et tardive compilation d'événements politiques de l'autre Hémisphère», mais «un recueil exact d'observations philosophiques faites dans celui-ci, qui tendraient à détromper, instruire, rendre moins malheureux» les habitants des îles de la mer des Antilles (t. II, p. 1). La Gazette des Petites Antilles parle «le langage de la vérité» mais aussi celui du «patriotisme», et notamment de ce patriotisme colonial qui se fait jour dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle (t. I, p. 1; t. II, p. 17, 131-132, 186).

Largement diffusée dans les îles françaises où elle est lue avec avidité, la Gazette des Petites Antilles bénéficie de nombreuses correspondances en provenance de ces îles. Ses lecteurs se présentent comme «d'honnêtes gens amis de la vérité», comme des «patriotes sensibles», comme des «citoyens éclairés» qui, à une époque où «les vues basses sont de mode», refusent de sacrifier «l'intérêt général aux petites vues de quelques particuliers» (t. I, p. 137, 139, 162). Ils soutiennent le journal, l'encouragent («tout vrai citoyen ne peut que vous engager à continuer votre gazette: chaque feuille est une goutte d'eau qui, tombant de haut sur un rocher, doit à la longue y faire empreinte»), l'aident surtout en lui communiquant «tout ce qui se passe dans [les] îles françaises» (t. I, p. 89-90; t. II, p. 70). Il y a non seulement un intérêt commun mais aussi une solidarité dans la collecte de l'information, un désir partagé d'agir pour ce que l'on considère comme le «bien public», une conscience du pouvoir grandissant de «l'opinion publique» et de la presse: publier une lettre dans la Gazette des Petites Antilles, remarque un lecteur, est sans doute le plus sûr moyen de s'assurer qu'elle sera lue à Versailles (t. II, p. 138, 190). La quantité des informations publiées, leur nature, laissent d'ailleurs à penser que la Gazette des Petites Antilles profitait de complicités aux niveaux les plus élevés de l'administration coloniale. La collection conservée au ministère des Affaires étrangères était celle de M. Petit, juge à la Martinique, probablement ce Jacques Petit, juge royal à Saint-Pierre, dont le marquis de Bouillé, gouverneur de la colonie, se plaint vivement dans une lettre au ministre du 11 juillet 1778, l'accusant d'être, avec le conseiller Erard, un «ennemi-né de la paix et du gouvernement» (A.N., Colonies, C 8A 77, fº 6).

La publication de la Gazette des Petites Antilles, son succès, ne pouvaient laisser indifférentes les autorités françaises. Tous les moyens ont été en fait mis en œuvre pour intimider puis pour faire taire le journal. La discussion (le président Tascher, intendant de la Martinique, écrit lui-même au journal pour réfuter certains arguments; t. I, p. 27), la polémique par journaux interposés, font bientôt place aux «persécutions directes et indirectes de toutes sortes»: la distribution du journal dans les îles françaises est perturbée, sa lecture est publiquement condamnée en chaire et au Conseil supérieur de la Martinique; des pressions sont exercées auprès de l'imprimeur, auprès des autorités anglaises de la Dominique puis auprès du gouvernement de Londres pour que la publication du journal soit suspendue; «les principaux marchands et habitants» de la Dominique demandent à leur tour au gouverneur de l'île d'interdire la publication, «par un étranger», de ce journal qui «contribu[e] à interrompre l'harmonie qui existe entre (le gouverneur de la Dominique) et les gouverneurs (des îles) français[es], et port[e] un notable préjudice aux négociants de cette île» (t. I, p. 122, 162, 198-201; t. II, p. 1, 84, 131-132, 149, 160).

A la fin de la première année, «ayant rempli ses engagements avec le public», l'imprimeur Roger Jones annonce qu'il cesse avec soulagement «la tâche honteuse» d'imprimer la Gazette des Petites Antilles. La publication du journal n'est cependant pas interrompue, ses rédacteurs ayant réussi à se procurer les services de Charles Dunn qui établit dans ce but une nouvelle imprimerie à Roseau. Les persécutions continuent et vont croissant: on passe des lettres anonymes, aux injures, aux menaces, puis aux voies de fait. Un tract circule à la Dominique et dans les îles françaises, promettant «la liberté à tout esclave [...], le congé à tout soldat, la grâce à tout déserteur, ou 300 moëdes à tout particulier [...] qui tuera [...] l'auteur du libelle périodique intitulé la Gazette des Petites Antilles», et par deux fois Dubuisson échappe à une tentative d'assassinat (t. II, p. 100, 131). Celui-ci ne désarme cependant pas, et si la Gazette des Petites Antilles cesse de paraître à la fin de la deuxième année, c'est pour être remplacée par l'Observateur américain, journal bimensuel que Dubuisson publie à Roseau à partir de la fin juillet 1776.

Deux ans plus tard, Reynaud entreprend la publication d'un «troisième tome» de la Gazette des Petites Antilles. Son plan reste celui adopté «à la naissance de [l']ouvrage», avec cependant plus de «circonspection dans la critique et dans le choix des sujets», ceci afin d'éviter les «disgrâces» subies autrefois, mais aussi en raison de la situation internationale «orageu[se]». Alors que l'Angleterre est au bord de la défaite en Amérique et que la France se prépare à lui déclarer la guerre, le rédacteur promet de «respecter [les] opinions» de cette «nation généreuse et hospitalière» qui l'accueille; néanmoins, ajoute-t-il, cette «déférence» aura de «justes bornes»: «exact à rendre compte des faits, nous ne supprimerons de réflexions que celles qui contrasteraient trop fortement avec les préjugés locaux». «Historien impartial», le journaliste doit être «aussi incapable de flatterie que de bassesse» (t. III, p. 1).

La Gazette des Petites Antilles de 1778 reste toujours avant tout «consacrée aux colonies françaises», et se donne pour tâche d'être à la fois «l'observateur attentif» de la «marche compliquée des corps politiques» et l'adversaire résolu de «l'intolérance», du «fanatisme», et de la «tyrannie» (ibid., et passim). Elle reprend les mêmes rubriques et garde les mêmes cibles: les injustices, les «exactions», les «turpitudes» des magistrats et administrateurs coloniaux; le «cagotisme», «l'hypocrisie enfroquée» des autorités religieuses; les «cerveaux bénins» des compilateurs des journaux publiés dans les îles françaises (t. III, p. 5, 14, 30, 33).

La publication de ce «troisième tome» de la Gazette des Petites Antilles est interrompue avec le numéro 15 du 12 août 1778, alors que la guerre est officiellement déclarée entre la France et l'Angleterre, et que le marquis de Bouillé attaque la Dominique qui se rend le 10 septembre. «Il n'a plus été possible alors de lui donner suite, note le juge Petit, à cause du ton de licence qui règne dans la critique [de ce journal], [ton] que les lois anglaises tolèrent, mais que nos mœurs proscrivent».

A la suite du traité de Versailles de 1783, la Dominique redevient possession anglaise. La Gazette des Petites Antilles qui paraît à partir du 25 novembre 1784, se présente également comme une continuation de celle publiée dix ans plus tôt: «le plan que le premier rédacteur avait adopté est le même que son continuateur se propose de suivre». Résidant «chez un peuple libre et idolâtre de la vérité», il n'aura à redouter ni les «censeurs» ni les «casuistes» en faisant usage de la «liberté de penser et d'écrire [...], pour examiner sans préjugés, discuter sans passions, poursuivre les abus en pardonnant aux erreurs et en ménageant les faiblesses qui rendent l'humanité plus intéressante» (Prospectus).

La défense des «droits de l'homme», l'«utilité» des colonies françaises et le désir de «mettre fin aux vexations et aux abus dont [elles] sont écrasées», restent toujours les buts essentiels que se donne la Gazette des Petites Antilles (ibid., p. 83). Prenant notamment fait et cause pour le sieur Legaux, un ancien directeur et receveur du domaine à Pointe-à-Pitre qui, à la suite d'une dispute avec les administrateurs de la Guadeloupe, s'était réfugié à la Dominique, elle mène une violente campagne contre le président de Foulquier, intendant de la Guadeloupe, qu'elle accuse de corruption et d'abus de pouvoir. Plusieurs numéros, publiés sous un titre différent et sans mention de date, de lieu ou d'imprimeur, sont en fait de véritables pamphlets dénonçant les «brigandages» du «daron» (l'intendant de Foulquier) et de ses complices qui ont entrepris de mettre en coupe réglée la colonie afin d'en tirer le plus de profit possible pour eux-mêmes: à la Guadeloupe tout maintenant s'achète et se vend, même «la permission de respirer» (p. 20). Foulquier contre-attaque par l'intermédiaire des Follicules caraïbes, journal dont il encourage la publication à partir de janvier 1785 (p. 86). Puis il prend des mesures pour empêcher la distribution de la Gazette des Petites Antilles dans les îles françaises, privant ainsi ce journal de la source la plus importante de ses revenus (p. 48, 84). Legaux, qui s'était enfui de la Guadeloupe en emportant avec lui plusieurs documents compromettants pour les administrateurs de l'île, ainsi que le rédacteur de la Gazette des Petites Antilles, sont menacés et échappent à plusieurs tentatives d'enlèvement et d'assassinat (p. 51, 87). Sans doute en raison de cette guerre ouverte avec les autorités françaises, les livraisons du journal paraissent sans indication de date, de lieu ou d'imprimeur, à partir du nº 12 (le nº 11 est daté du 10 févr. 1785). La publication de la Gazette des Petites Antilles devient alors très irrégulière, et semble avoir cessé à la fin de l'année 1785.

Alors que les journaux publiés dans les colonies françaises dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle étaient soumis à une surveillance étroite qui les empêchait d'exprimer ouvertement les problèmes, les antagonismes, les divergences d'intérêts, d'opinions ou d'aspirations qui existaient dans les sociétés coloniales, la Gazette des Petites Antilles a pu mettre à profit la relative liberté accordée à la presse par les lois anglaises pour être à la fois un lieu de discussion et le lieu d'expression de la contestation pour les habitants des colonies françaises. Se donnant pour tâche d'être cette «voix hardie qui dévoil[e], révèl[e], publi[e] tout» (t. I, p. 89), elle a permis et encouragé le débat d'idées aux colonies tout en menant un double combat: celui de la «Philosophie» dénonçant toutes les formes d'oppression et d'abus de pouvoir afin de «faire éclore les fleurs et les fruits de l'arbre de la liberté»; celui des «colons» dont elle s'est voulu le porte-parole dans la lutte qui les opposait à une métropole et ses représentants accusés de ne considérer les colonies que comme «une éponge bien remplie qu'il ne s'agit que de presser» et de les tenir dans «une entière dépendance» afin de mieux en tirer profit (t. I, p. 72; t. II, p. 104). La publication de la Gazette des Petites Antilles témoigne de la diffusion des idées philosophiques aux colonies dans les années qui précèdent la Révolution, comme de l'opposition grandissante d'une grande partie des colons à la politique coloniale de la monarchie.

Alain NABARRA

 


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