ISSN 2271-1813

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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 68] CHAPITRE VINGT-SIXIÉME.

Suite des particularités & anecdotes.

Madame de fontange devint grosse en 1680. on la fit duchesse. elle ne jouit pas long-tems de sa fortune: elle mourut un an après, des suites de sa couche; & le fils qu'elle avait eû du roi, ne survécut pas à sa mére.

La marquise de montespan, n'aiant plus de rivale déclarée, n'en posséda pas plus un cœur fatigué d'elle & de ses murmures. quand les hommes ne sont plus dans leur jeunesse, ils ont presque tous besoin [p. 69] de la société d'une femme complaisante. le poids des affaires rend surtout cette consolation nécessaire. la nouvelle favorite, madame de maintenon, qui sentait le pouvoir secret qu'elle acquérait tous les jours, se conduisait avec cet art, qui est si naturel aux femmes, & qui ne déplaît pas aux hommes.

Elle écrivait un jour à madame de frontenac sa cousine, en qui elle avait une entiére confiance: «je le renvoie toûjours affligé & jamais désespéré.» dans ce tems, où sa faveur croissait & où madame de montespan touchait à sa chûte, ces deux rivales se voiaient tous les jours, tantôt avec une aigreur secrette, tantôt avec une confiance passagére, que la nécessité de se parlèr & la lassitude de la contrainte mettaient quelquefois dans leurs entretiens. elles convinrent de faire, chacune de leur côté, des mémoires de tout ce qui se passait à la cour. l'ouvrage ne fut pas poussé fort loin. madame de montespan se plaisait à lire quelque chose de ces mémoires à ses amis, dans les derniéres années de sa vie. la dévotion qui se mêlait à toutes ces intrigues secrettes, affermissait encor la faveur de madame de maintenon, & éloignait madame de montespan. le roi se reprochait son attachement pour une [p. 70] femme mariée, & sentait surtout ce scrupule, depuis qu'il ne sentait plus d'amour. cette situation embarrassante subsista jusqu'en 1685, année mémorable par la révocation de l'édit de nantes. on voiait alors des scénes bien différentes: d'un côté, le désespoir & la fuite d'une partie de la nation; de l'autre, de nouvelles fêtes à versailles; trianon & marli bâtis, la nature forcée dans tous ces lieux de délices, & des jardins où l'art était épuisé. le mariage du petit-fils du grand condé, & de mademoiselle de nantes fille du roi & de madame de montespan, fut le dernier triomphe de cette maîtresse, qui commençait à se retirer de la cour.

Le roi maria depuis deux enfans qu'il avait eûs d'elle, mademoiselle de blois avec le duc de chartres que nous avons vu régent du roiaume, & le duc du maine à louise bénédicte de bourbon, petite-fille du grand condé & sœur de monsieur le duc, princesse célébre par son esprit & par le goût des arts. ceux qui ont seulement approché du palais roial & de sceaux, savent combien sont faux tous les bruits populaires, recueillis dans tant d'histoires concernant ces mariages. il y a plus de vingt volumes, dans lesquels vous verrez que la maison d'orléans & la maison de condé s'indignérent de [p. 71] ces propositions; vous lirez que la princesse mére du duc de chartres menaça son fils; vous lirez même qu'elle le frapa. les anecdotes de la constitution rapportent sérieusement, que le roi s'étant servi de l'abbé du bois sous-précepteur du duc de chartres, pour faire réussir la négociation, cet abbé n'en vint à bout qu'avec peine, & qu'il demanda pour récompense le chapeau de cardinal. tout ce qui regarde la cour est écrit ainsi dans beaucoup d'histoires.

Avant la célébration du mariage de monsieur le duc avec mademoiselle de nantes, le marquis de seignelai, à cette occasion, donna au roi une fête digne de ce monarque, dans les jardins de sceaux plantés par le nôtre avec autant de goût que ceux de versailles. on y éxécuta l'idylle de la paix, composée par racine. il y eut dans versailles un nouveau carrousel; & après le mariage, le roi étala une magnificence singuliére, dont le cardinal mazarin avait donné la premiére idée en 1656. on établit dans le salon de marli quatre boutiques, remplies de ce que l'industrie des ouvriers de paris avait produit de plus riche & de plus recherché. ces quatre boutiques étaient autant de décorations superbes, qui représentaient les quatre saisons de l'année. madame de [p. 72] montespan en tenait une avec monseigneur. sa rivale en tenait une autre avec le duc du maine. les deux nouveaux mariés avaient chacun la leur: monsieur le duc avec madame de thiange; & madame la duchesse, à qui la bienséance ne permettait pas d'en tenir une avec un homme à cause de sa grande jeunesse, était avec la duchesse de chevreuse. les dames & les hommes nommés du voiage tiraient au sort les bijoux dont ces boutiques étaient garnies. ainsi le roi fit des présens à toute la cour, d'une maniére digne de lui. la lotterie du cardinal mazarin fut moins ingénieuse & moins brillante. ces lotteries avaient été mises en usage autrefois par les empereurs romains; mais aucun d'eux n'en releva la magnificence par tant de galanterie.

Après le mariage de sa fille, madame de montespan ne reparut plus à la cour. elle vécut à paris avec beaucoup de dignité. elle avait un grand revenu, mais viager; & le roi lui fit païer toûjours une pension de mille louis d'or par mois. elle allait prendre tous les ans les eaux à bourbon, & y mariait des filles du voisinage qu'elle dotait. elle n'était plus dans l'âge où l'imagination frapée par de vives impressions envoie aux carmélites. elle mourut à bourbon en 1707.

[p. 73] L'année même du mariage de mademoiselle de nantes avec monsieur le duc, mourut à chantilli le prince de condé à l'âge de soixante-six ans, d'une maladie qui empira par l'effort qu'il fit d'aller voir madame la duchesse, qui avait la petite vérole. on peut juger par cet empressement qui lui coûta la vie, s'il avait eû de la répugnance au mariage de son petit-fils, avec cette fille du roi & de madame de montespan, comme l'ont écrit tous ces gazetiers de mensonges, dont la hollande était alors infectée. on trouve encor dans une histoire du prince de condé, sortie de ces mêmes bureaux d'ignorance & d'imposture, que le roi se plaisait en toute occasion à mortifier ce prince; & qu'au mariage de la princesse de conti fille de madame de la valiére, le secretaire d'état lui refusa le titre de haut & puissant seigneur, comme si ce titre était celui qu'on donne aux princes du sang. l'écrivain, qui a composé l'histoire de louis XIV dans avignon en partie sur ces malheureux mémoires, pouvait-il assez ignorer le monde & les usages de notre cour, pour rapporter des faussetés pareilles?

Cependant, après le mariage de madame la duchesse, après l'éclipse totale de la mére, madame de maintenon victorieuse [p. 74] prit un tel ascendant, & inspira à louis XIV tant de tendresse & de scrupules, que le roi, par le conseil du pére de la chaise, l'épousa secrettement en 1686, dans une petite chapelle qui était au bout de l'apartement occupé depuis par le duc de bourgogne. il n'y eut aucun contrat, aucune stipulation. l'archévêque de paris, harlai de chamvalon, leur donna la bénédiction; le confesseur y assista; montchevreuil & bontems premier valet de chambre y furent comme témoins. il n'est plus permis de supprimer ce fait, rapporté dans tous les auteurs, qui d'ailleurs se sont trompés sur les noms, sur le lieu & sur les dates. louis XIV était alors dans sa quarante-huitiéme année, & la personne qu'il épousait, dans sa cinquante-deuxiéme. ce prince, comblé de gloire, voulait mélèr aux fatigues du gouvernement les douceurs innocentes d'une vie privée. ce mariage ne l'engageait à rien d'indigne de son rang. il fut toûjours problématique à la cour, si madame de maintenon était mariée. on respectait en elle le choix du roi, sans la traitèr en reine.

La destinée de cette dame paraît parmi nous fort étrange, quoique l'histoire fournisse beaucoup d'éxemples de fortunes plus grandes & plus marquées, qui [p. 75] ont eû des commencemens plus petits. la marquise de saint-sébastien, que le roi de sardaigne victor-amédée épousa, n'était pas au dessus de madame de maintenon; & l'impératrice catherine était fort au dessous.

Elle était d'une très ancienne maison, petite-fille de théodore-agrippa d'aubigné, gentil-homme ordinaire de la chambre de henri quatre. son pére, constant d'aubigné, aiant voulu faire un établissement à la caroline & s'étant adressé aux anglais, fut mis en prison au château trompette, & en fut délivré par la fille du gouverneur nommé de cardillac, gentil-homme bourdelois. constant d'aubigné épousa sa bienfaitrice en 1627, & la mena à la caroline. de retour en france avec elle au bout de quelques années, tous deux furent enfermés à niort en poitou par ordre de la cour. ce fut dans cette prison de niort, que nâquit en 1635 françoise d'aubigné, destinée à éprouver toutes les rigueurs & toutes les faveurs de la fortune. menée à l'âge de trois ans en amérique, laissée par la négligence d'un domestique sur le rivage, prête à y être dévorée d'un serpent, ramenée orpheline à l'âge de douze ans, élevée avec la plus grande dureté chez madame de neuillant, mére de la duchesse de navailles [p. 76] sa parente, elle fut trop heureuse d'épousèr en 1651 paul scarron, qui logeait auprès d'elle dans la ruë d'enfer. scarron était d'une ancienne famille du parlement, illustrée par de grandes alliances; mais le burlesque, dont il faisait profession, l'avilissait en le faisant aimer. ce fut pourtant une fortune pour mademoiselle d'aubigné, d'épouser cet homme disgracié de la nature, impotent, & qui n'avait qu'un bien très médiocre. elle fit avant ce mariage abjuration de la religion calviniste, qui était la sienne comme celle de ses ancêtres. sa beauté & son esprit la firent bientôt distinguer. elle fut recherchée avec empressement de la meilleure compagnie de paris; & ce tems de sa jeunesse fut sans doute le plus heureux de sa vie. après la mort de son mari arrivée en 1660, elle fit long-tems sollicitèr auprès du roi une petite pension de quinze-cent livres, dont scarron avait joui. enfin au bout de quelques années, le roi lui en donna une de deux-mille, en lui disant: «madame, je vous ai fait attendre long-tems; mais vous avez tant d'amis, que j'ai voulu avoir seul ce mérite auprès de vous.»

Ce fait m'a été conté par le cardinal de fleury, qui se plaisait à le rapporter souvent, parce qu'il disait que louis XIV [p. 77] lui avait fait le même compliment, en lui donnant l'évéché de fréjus.

En 1671 la naissance du duc du maine était encor un secret. ce prince, âgé d'un an, avait un pied difforme. le premier médecin d'aquin, qui était dans la confidence, jugea qu'il fallait envoier l'enfant aux eaux de barége. on chercha une personne de confiance, qui pût se charger de ce dépôt. le roi se souvint de madame scarron. monsieur de louvois alla secrettement à paris lui proposer ce voiage. elle eut soin depuis ce tems-là de l'éducation du duc du maine, nommée à cet emploi par le roi, & non point par madame de montespan, comme on l'a dit. elle écrivait au roi directement; ses lettres plûrent beaucoup. voilà l'origine de sa fortune: son mérite fit tout le reste. le roi lui acheta la terre de maintenon en 1679. ce fut le seul bien fonds qu'elle eut jamais.

Son élévation ne fut pour elle qu'une retraite. renfermée dans son apartement qui était de plein-pied à celui du roi, elle se bornait à une société de deux ou trois dames retirées comme elle; encor les voiait-elle rarement. le roi venait tous les jours chez elle après son dîner, avant & après le souper, & y demeurait jusqu'à minuit. il y travaillait avec [p. 78] ses ministres, pendant que madame de maintenon s'occupait à la lecture, ou à quelque ouvrage des mains; ne s'empressant jamais de parler d'affaires d'état, paraissant souvent les ignorer, rejettant bien loin tout ce qui avait la plus legére apparence d'intrigue & de cabale, beaucoup plus occupée de complaire à celui qui gouvernait que de gouverner, & ménageant son crédit en ne l'emploiant qu'avec une circonspection extrême. elle ne profita point de sa place, pour faire tomber toutes les dignités & tous les grands emplois dans sa famille. son frére, le comte d'aubigné ancien lieutenant-général, ne fut pas même maréchal de france. un cordon bleu & quelques parts secrettes dans les fermes générales furent sa seule fortune; aussi disait-il au maréchal de vivonne, frére de madame de montespan, qu'il avait eû son bâton de maréchal en argent comptant. ce fut une fortune pour la fille de ce comte, d'épouser le duc de noailles, plustôt que pour le duc. deux autres niéces de madame de maintenon, l'une mariée au marquis de caylus, l'autre au marquis de villette, n'eurent presque point de bien. une pension modique, donnée par louis XIV, fut presque la seule dot de madame de caylus. madame de villette n'eut guères que [p. 79] des espérances. c'est elle qui épousa en secondes nôces le vicomte de bullingbrock, célébre par son ministére, sa disgrace & son éloquence. elle m'a conté souvent, qu'elle avait reproché à sa tante le peu qu'elle faisait pour sa famille, & qu'elle lui avait dit en colére: «vous voulez jouir de votre modération, & que votre famille en soit la victime.» madame de maintenon oubliait tout, quand elle craignait de choquer les sentimens de louis XIV. elle n'osa pas même soûtenir le cardinal de noailles contre le pére le tellier. elle avait beaucoup d'amitié pour racine; mais cette amitié ne fut pas assez courageuse, pour le protéger contre un leger ressentiment du roi. un jour touchée de l'éloquence avec laquelle il lui avait parlé de la misére du peuple en 1698, misére toûjours éxagérée, mais qui fut portée réellement depuis jusqu'à une extrémité déplorable, elle engagea son ami à faire un mémoire, qui montrât le mal & le reméde. le roi le lut; & en aiant témoigné du chagrin, elle eut la faiblesse d'en nommer l'auteur, & celle de ne le pas défendre. racine, plus faible encor, fut pénétré d'une douleur qui le mit au tombeau.

Du même fonds de caractére, dont elle était incapable de rendre service, elle [p. 80] l'était aussi de nuire. l'abbé de choisi rapporte, que le ministre louvois s'était jetté aux pieds de louis XIV, pour l'empécher d'épouser la veuve scarron. si l'abbé de choisi savait ce fait, madame de maintenon en était instruite; & non seulement elle pardonna à ce ministre, mais elle appaisa le roi dans les mouvemens de colére, que l'humeur brusque du marquis de louvois inspirait quelquefois à son maître.

Louis XIV, en épousant madame de maintenon, ne se donna donc qu'une compagne agréable & soûmise. la seule distinction publique qui faisait sentir son élévation secrette, c'était qu'à la messe elle occupait une de ces deux petites tribunes ou lanternes dorées, qui ne semblaient faites que pour le roi & la reine. d'ailleurs, nul extérieur de grandeur. la dévotion qu'elle avait inspirée au roi, & qui avait servi à son mariage, devint peu-à-peu un sentiment vrai & profond, que l'âge & l'ennui fortifiérent. elle s'était déja donnée à la cour & auprès du roi la considération d'une fondatrice, en rassemblant à noisi plusieurs filles de qualité; & le roi avait affecté déja les revenus de l'abbaïe de saint-denis à cette communauté naissante. saint-cyr fut bâti au bout du parc de versailles en [p. 81] 1686. elle donna alors à cet établissement toute sa forme, en fit les réglemens avec godet desmarêts évêque de chartres, & fut elle-même supérieure de ce couvent. elle y allait souvent passer quelques heures; & quand je dis que l'ennui la déterminait à ces occupations, je ne parle que d'après elle. qu'on lise ce qu'elle écrivait à madame de la maisonfort, dont il est parlé dans le chapitre du quiétisme:

«Que ne puis-je vous donner mon expérience! que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, & la peine qu'ils ont à remplir leurs journées! ne voiez-vous pas que je meurs de tristesse, dans une fortune qu'on aurait eû peine à imaginer? j'ai été jeune & jolie; j'ai goûté des plaisirs; j'ai été aimée partout. dans un âge plus avancé, j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit; je suis venuë à la faveur; & je vous proteste, ma chére fille, que tous les états laissent un vuide affreux.»

Si quelque chose pouvait détromper de l'ambition, ce serait assûrément cette lettre. madame de maintenon, qui pourtant n'avait d'autre chagrin que l'uniformité de sa vie auprès d'un grand roi, [p. 82] disait un jour au comte d'aubigné, son frére: «je n'y peux plus tenir; je voudrais être morte.» on sait quelle réponse il lui fit: vous avez donc parole d'épouser Dieu le pére.

A la mort du roi, elle se retira entiérement à saint-cyr. ce qui peut surprendre, c'est que louis XIV ne lui avait rien assûré. il la recommanda seulement au duc d'orléans. elle ne voulut qu'une pension de quatre-vingt-mille livres, qui lui fut éxactement païée jusqu'à sa mort, arrivée en 1719 le 15 d'avril. on a trop affecté d'oublier dans son épitaphe le nom de scarron: ce nom n'est point avilissant, & l'omission ne sert qu'à faire penser qu'il peut l'être.

La cour fut moins vive & plus sérieuse, depuis que le roi commença à menèr avec madame de maintenon une vie plus retirée; & la maladie considérable, qu'il eut en 1686, contribua encor à lui ôter le goût de ces fêtes galantes, qui avaient jusques-là signalé presque toutes ses années. il fut attaqué d'une fistule dans le dernier des intestins. l'art de la chirurgie, qui fit sous ce régne plus de progrès que dans tout le reste de l'europe, n'était pas encor familiarisé avec cette maladie. le cardinal de richelieu en était mort, faute d'avoir été bien traité. le [p. 83] danger du roi émut toute la france. les églises furent remplies d'un peuple innombrable, qui demandait la guérison de son roi, les larmes aux yeux. ce mouvement d'un attendrissement général fut presque semblable à ce qui s'est passé de nos jours, lorsque son successeur fut en danger de mort à metz en 1744. ces deux époques apprendront à jamais aux rois, ce qu'ils doivent à une nation qui sait aimèr ainsi.

Dès que louis XIV ressentit les premiéres atteintes de ce mal, son premier chirurgien félix alla dans les hôpitaux chercher des malades qui fussent dans le même péril; il consulta les meilleurs chirurgiens; il inventa avec eux des instrumens, qui abrégeaient l'opération, & qui la rendaient moins douloureuse. le roi la souffrit sans se plaindre. il fit travailler ses ministres auprès de son lit le jour même; & afin que la nouvelle de son danger ne fit aucun changement dans les cours de l'europe, il donna audiance le lendemain aux ambassadeurs. a ce courage d'esprit se joignait la magnanimité avec laquelle il récompensa félix: il lui donna une terre, qui valait alors plus de cinquante-mille écus.

Depuis ce tems, le roi n'alla plus aux spectacles. la dauphine de baviére, devenuë [p. 84] mélancolique & attaquée d'une maladie de langueur qui la fit enfin mourir en 1690, se refusa à tous les plaisirs, & resta obstinément dans son apartement. elle aimait les lettres; elle avait même fait des vers; mais dans sa mélancolie, elle n'aimait plus que la solitude.

Ce fut le couvent de saint-cyr, qui ranima le goût des choses d'esprit. madame de maintenon pria racine, qui avait renoncé au théatre pour le jansénisme & pour la cour, de faire une tragédie qui pût être représentée par ses éléves. elle voulut un sujet tiré de la bible. racine composa esthèr. cette piéce, aiant d'abord été jouée dans la maison de saint-cyr, le fut ensuite plusieurs fois à versailles devant le roi dans l'hivèr de 1689. des prélats, des jésuites, s'empressaient d'obtenir la permission de voir ce singulier spectacle. il paraît remarquable, que cette piéce eut alors un succès universel; & que deux ans après, athalie jouée par les mêmes personnes, n'en eut aucun. ce fut tout le contraire, quand on joua ces piéces à paris, long-tems après la mort de l'auteur & après le tems des partialités. athalie représentée en 1717, fut reçuë comme elle devait l'être, avec transport; & esthèr en 1721 n'inspira que de la froideur & ne [p. 85] reparut plus. mais alors il n'y avait plus de courtisans, qui reconnussent avec flatterie esthèr dans madame de maintenon, & avec malignité vasthi dans madame de montespan, aman dans monsieur de louvois, & surtout les huguenots persécutés par ce ministre, dans la proscription des hébreux. le public impartial ne vit qu'une aventure sans intérêt & sans vraisemblance; un roi insensé, qui a passé six mois avec sa femme sans savoir qui elle est, & qui aiant sans le moindre prétexte donné ordre de faire égorger toute une nation, fait ensuite pendre son favori tout aussi legérement. mais malgré le vice du sujet, trente vers d'esthèr valent mieux que beaucoup de tragédies, qui ont eû de grands succès.

Ces amusemens ingénieux recommencérent, pour l'éducation d'adelaïde de savoie duchesse de bourgogne, amenée en france à l'âge de onze ans.

C'est une des contradictions de nos mœurs, que d'un côté on ait laissé un reste d'infamie attaché aux spectacles publics, & que de l'autre on ait regardé ces représentations comme l'éxercice le plus noble & le plus digne des personnes roiales. on éleva un petit théatre dans l'apartement de madame de maintenon. la duchesse de bourgogne, le duc d'orléans, [p. 86] y jouaient avec les personnes de la cour qui avaient le plus de talens. le fameux acteur baron leur donnait des leçons, & jouait avec eux. la pluspart des tragédies de duché, valet de chambre du roi, furent composées pour ce théatre; & l'abbé genêt, aumônier de la duchesse d'orléans, en faisait pour la duchesse du maine, que cette princesse & sa cour représentaient.

Ces occupations formaient l'esprit & animaient la société. comment le marquis de la fare peut-il dire dans ses mémoires, que depuis la mort de madame, ce ne fut que jeu, confusion & impolitesse? on jouait beaucoup dans les voiages de marli & de fontainebleau, mais jamais chez madame de maintenon; & la cour fut en tout tems le modéle de la plus parfaite politesse. la duchesse d'orléans alors duchesse de chartres, la duchesse du maine, la princesse de conti, madame la duchesse, démentaient bien ce que le marquis de la fare avance. cet homme, qui dans le commerce était de la plus grande indulgence, n'a presque écrit qu'une satire. il était mécontent du gouvernement: il passait sa vie dans une société qui se faisait un mérite de condanner la cour; & cette société fit d'un homme très aimable, un historien quelquefois injuste.

[p. 87] Ni lui, ni aucun de ceux qui ont trop censuré louis XIV, ne peut disconvenir, qu'il ne fût jusqu'à la journée d'hochstet, le seul puissant, le seul magnifique, le seul grand presque en tout genre. car quoiqu'il y eût des héros comme jean sobieski & des rois de suéde, qui effaçassent en lui le guerrier, personne n'effaça le monarque. il faut avouèr encor, qu'il soûtint ses malheurs & qu'il les répara. il a eû des défauts; il a fait des fautes: mais ceux qui le condannent, l'auraient-ils égalé, s'ils avaient été à sa place?

La duchesse de bourgogne croissait en graces & en mérite. les éloges, qu'on donnait à sa sœur en espagne, lui inspirérent une émulation qui redoubla en elle le talent de plaire. ce n'était pas une beauté parfaite; mais elle avait le regard tel que son fils, un grand air, une taille noble. ces avantages étaient embellis par son esprit, & plus encor par l'envie extrême de mériter les suffrages de tout le monde. elle était, comme henriette d'angleterre, l'idole & le modéle de la cour, avec un plus haut rang: elle touchait au trône: la france attendait du duc de bourgogne un gouvernement, tel que les sages de l'antiquité en imaginérent, mais dont l'austérité serait tempérée par [p. 88] les graces de cette princesse, plus faites encor pour être senties que la philosophie de son époux. le monde sait, comme toutes ces espérances furent trompées. ce fut le sort de louis XIV, de voir périr en france toute sa famille par des morts prématurées; sa femme à quarante-cinq ans, son fils unique à cinquante; & un an après que nous eûmes perdu son fils, nous vîmes son petit-fils le dauphin duc de bourgogne, la dauphine sa femme, leur fils aîné le duc de bretagne, portés à saint-denis dans le même char, au mois d'avril 1712; tandis que le dernier de leurs enfans, monté depuis sur le trône, était dans son berceau aux portes de la mort. le duc de berri, frére du duc de bourgogne, les suivit deux ans après; & sa fille, dans le même tems, passa du berceau au cercueil.

Ce tems de désolation laissa dans les cœurs une impression si profonde, que dans la minorité de louis XV j'ai vu plusieurs personnes, qui ne parlaient de ces pertes qu'en versant des larmes. le plus à plaindre de tous les hommes, au milieu de tant de morts précipitées, était celui qui semblait devoir hériter bientôt du roiaume.

Ces mêmes soupçons, qu'on avait eûs à la mort de madame & à celle de marie-louise [p. 89] reine d'espagne, se réveillérent avec une fureur qui n'a point d'éxemple. l'excès de la douleur publique aurait presque excusé la calomnie, si elle avait été excusable. il y avait du délire à penser, qu'on eût pu faire périr par un crime tant de personnes roiales, en laissant vivre le seul qui pouvait les vanger. la maladie, qui emporta le dauphin de bourgogne, sa femme & son fils, était une rougeole pourprée épidémique. ce mal fit périr à paris en moins d'un mois plus de cinq-cent personnes. monsieur le duc de bourbon, petit-fils du prince de condé, le duc de la trimouille, madame de la vrilliére, madame de listenai, en furent attaqués à la cour. le marquis de gondrin, fils du duc d'antin, en mourut en deux jours. sa femme, depuis comtesse de toulouse, fut à l'agonie. cette maladie parcourut toute la france. elle fit périr en lorraine les aînés de ce duc de lorraine françois, destiné à être un jour empereur & à relever la maison d'aûtriche.

Cependant, ce fut assez qu'un médecin nommé boudin, homme de plaisir, hardi & ignorant, eût proféré ces paroles: «nous n'entendons rien à de pareilles maladies.» c'en fut assez, dis-je, pour que la calomnie n'eût point de frein. [p. 90] Un prince avait un laboratoire, & étudiait la chimie ainsi que beaucoup d'autres arts: c'était une preuve sans réplique. le cri public était affreux. il faut en avoir été témoin pour le croire. plusieurs écrits & quelques malheureuses histoires de louis XIV éterniseraient les soupçons, si des hommes instruits ne prenaient soin de les détruire. j'ose dire, que frapé de tout tems de l'injustice des hommes, j'ai fait bien des recherches pour savoir la vérité. voici ce que m'a répété plusieurs fois le marquis de canillac, l'un des plus honnêtes hommes du roiaume, intimement attaché à ce prince soupçonné, dont il eut depuis beaucoup à se plaindre. le marquis de canillac, au milieu de cette clameur publique, va le voir dans son palais. il le trouve étendu à terre, versant des larmes, aliéné par le désespoir. son chimiste homberg court se rendre à la bastille, pour se constituer prisonnier: mais on n'avait point d'ordre de le recevoir; on le refuse. le prince (qui le croirait!) demande lui-même, dans l'excès de sa douleur, à être mis en prison; il veut que des formes juridiques éclaircissent son innocence; sa mére demande avec lui cette justification cruelle. la lettre de cachet s'expédie; mais elle n'est point signée: & le [p. 91] marquis de canillac, dans cette émotion d'esprit, conserva seul assez de sang-froid, pour sentir les conséquences d'une démarche si désespérée. il fit que la mére du prince s'opposa à cette lettre de cachet ignominieuse. le monarque qui l'accordait, & son neveu qui la demandait, étaient également malheureux.

Louis XIV dévorait sa douleur en public: il se laissa voir à l'ordinaire. mais en secret les ressentimens de tant de malheurs le pénétraient & lui donnaient des convulsions. il éprouvait toutes ces pertes domestiques à la suite d'une guerre malheureuse, avant qu'il fût assûré de la paix, & dans un tems où la misére désolait le roiaume. on ne le vit pas succombèr un moment à ses afflictions.

Le reste de sa vie fut triste. le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les cœurs. sa confiance entiére pour le pére le tellier, homme trop violent, acheva de les révolter. c'est une chose très remarquable, que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur. il perdit les trois derniéres années de sa vie, dans l'esprit de la pluspart de ses sujets, tout ce qu'il avait fait de grand & de mémorable.

Privé de presque tous ses enfans, sa [p. 92] tendresse, qui redoublait pour le duc du maine & pour le comte de toulouse, ses fils légitimés, le porta à leur donnèr en 1715, les droits, les honneurs, le rang, le nom de princes du sang, par un édit qui fut enregistré sans aucune remontrance. il assûrait, par cet édit, la couronne à leur maison, au défaut de tous les princes du sang de france; & tempérait ainsi par la loi naturelle, la sévérité des loix municipales [errata: loix positives], qui privent les enfans nés hors du mariage, de tous droits à la succession paternelle. les rois dispensent de cette loi. il crut pouvoir faire pour son sang, ce qu'il avait fait en faveur de plusieurs de ses sujets. il crut surtout pouvoir établir pour deux de ses enfans, ce qu'il avait fait passer au parlement sans opposition, pour les princes de la maison de lorraine. cependant on murmura. le procès, que les princes du sang intentérent depuis aux princes légitimés, est connu. ceux-ci ont conservé pour leurs personnes & pour leurs enfans les honneurs donnés par louis XIV. ce qui regarde leur postérité dépendra du tems, du mérite & de la fortune.

Louis XIV fut attaqué vers le milieu du mois d'août 1715, au retour de marli, de la maladie qui termina ses jours. ses [p. 93] jambes s'enflérent; la gangréne commença à se manifester. le comte de stairs ambassadeur d'angleterre paria, selon le génie de sa nation, que le roi ne passerait pas le mois de septembre. le duc d'orléans, qui au voiage de marli avait été absolument seul, eut alors toute la cour auprès de sa personne. un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima ses forces. il mangea, & l'empirique assûra qu'il guérirait. la foule, qui entourait le duc d'orléans, diminua dans le moment. «si le roi mange une seconde fois, dit le duc d'orléans, nous n'aurons plus personne.» mais la maladie était mortelle. les mesures étaient prises, pour donner la régence absoluë au duc d'orléans. le roi ne la lui avait laissée que très limitée par son testament déposé au parlement; ou plustôt, il ne l'avait établi que chef d'un conseil de régence, dans lequel il n'aurait que la voix prépondérante. cependant il lui dit: je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance. c'est qu'il ne croiait pas, qu'il y eût de loi fondamentale qui donnât dans une minorité un pouvoir sans bornes à l'héritier présomptif du roiaume. cette autorité suprême, dont on peut abuser, est dangereuse; mais l'autorité [p. 94] partagée l'est encor davantage. il crut qu'aiant été si bien obéi pendant sa vie, il le serait après sa mort, & ne se souvenait pas qu'on avait cassé le testament de son pére.

D'ailleurs personne n'ignore avec quelle grandeur d'ame il vit approcher la mort, disant à madame de maintenon: j'avais cru qu'il était plus difficile de mourir; disant à ses domestiques: pourquoi pleurez-vous? m'avez-vous cru immortel? donnant tranquilement ses ordres sur beaucoup de choses & même sur sa pompe funébre. quiconque a beaucoup de témoins de sa mort, meurt toûjours avec courage. louis XIII, dans sa derniére maladie, avait mis en musique le de profundis, qu'on devait chanter pour lui. le courage d'esprit avec lequel louis XIV vit sa fin, fut dépouillé de cette ostentation répanduë sur toute sa vie. ce courage alla jusqu'à avouer ses fautes. son successeur a toûjours conservé écrites au chevet de son lit, les paroles remarquables que ce monarque lui dit, en le tenant sur son lit entre ses bras: ces paroles ne sont point telles qu'elles sont rapportées dans toutes les histoires. les voici fidélement copiées: «vous allez être bientôt roi d'un grand roiaume. ce que je vous recommande plus [p. 95] fortement, est de n'oublier jamais les obligations que vous avez à Dieu. souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes. tâchez de conserver la paix avec vos voisins. j'ai trop aimé la guerre: ne m'imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses que j'ai faites. prenez conseil en toutes choses, & cherchez à connaître le meilleur pour le suivre toûjours. soulagez vos peuples le plustôt que vous le pourrez, & faites ce que j'ai eû le malheur de ne pouvoir faire moi-même.»

Il est à croire que ces paroles n'ont pas peu contribué, trente ans après, à cette paix que louis xv a donnée à ses ennemis; dans laquelle on a vu un roi victorieux rendre toutes ses conquêtes pour tenir sa parole, rétablir tous ses alliés, & devenir l'arbitre de l'europe par son désintéressement plus encor que par ses victoires.

Quoique la vie & la mort de louis XIV eussent été glorieuses, il ne fut pas aussi regretté qu'il le méritait. l'amour de la nouveauté, l'approche d'un tems de minorité où chacun se figurait une fortune, l'affaire de la constitution qui aigrissait les esprits; tout fit recevoir la nouvelle de sa mort avec un sentiment qui [p. 96] allait plus loin que l'indifférence. nous avons vu ce même peuple, qui en 1686 avait demandé au ciel avec larmes la guérison de son roi malade, suivre son convoi funébre avec des démonstrations bien différentes. on prétend que la reine sa mére lui avait dit un jour dans sa grande jeunesse: mon fils, ressemblez à votre grand-pére & non pas à votre pére. le roi en aiant demandé la raison: c'est, dit-elle, qu'à la mort de henri IV on pleurait, & qu'on a ri à celle de louis XIII. quoiqu'il en soit, il paraît que le tems, qui meurit les opinions des hommes, a mis le sceau à sa réputation; & malgré tout ce qu'on a écrit contre lui, on ne prononcera point son nom sans respect, & sans avoir l'idée d'un siécle à jamais mémorable.

Si on le considére dans sa vie privée, on le voit bon fils sans vouloir que se mére gouverne, bon mari même sans être jamais fidéle, bon pére, bon maître, & toûjours aimable avec dignité.

J'ai déja remarqué16 ailleurs, qu'il ne prononça jamais les paroles qu'on lui fait dire, lorsque le premier gentil-homme [p. 97] de la chambre & le grand maître de la garderobe se disputaient l'honneur de le servir: qu'importe lequel de mes valets me serve. un discours si grossier ne pouvait partir d'un homme aussi poli & aussi attentif qu'il l'était, & ne s'accordait guères avec ce qu'il lui dit un jour en effet au sujet de ses dettes: que ne parlez-vous à vos amis? mot bien différent, qui par lui-même valait beaucoup, & qui fut accompagné d'un don de cinquante-mille écus.

Il n'est pas même vrai, qu'il ait écrit au duc de la rochefoucault: «je vous fais mon compliment comme votre ami, sur la charge de grand-maître de la garderobe, que je vous donne comme votre roi.» les historiens lui font honneur de cette lettre. c'est ne pas sentir combien il est peu délicat, combien même il est dur de dire à celui dont on est le maître, qu'on est son maître. cela serait à sa place, si on écrivait à un sujet qui aurait été rebelle: c'est ce que henri quatre aurait pu dire au duc de maienne avant l'entiére réconciliation. le secretaire du cabinet rose écrivit cette lettre; & le roi avait trop de bon goût pour l'envoier. c'est ce bon goût qui lui fit supprimer les inscriptions fastueuses, dont charpentier de l'académie française avait chargé les tableaux de le brun, dans la galerie [p. 98] de versailles; l'incroiable passage du rhin, la merveilleuse prise de valenciennes, &c. le roi sentit que la prise de valenciennes, le passage du rhin, disaient davantage. charpentier avait eû raison d'orner d'inscriptions en notre langue les monumens de notre patrie; la flatterie seule avait nui à l'éxécution.

On a recueilli quelques réponses, quelques mots de ce prince, qui se réduisent à très peu de chose. on prétend, que quand il résolut d'abolir en france le calvinisme, il dit: «mon grand-pére aimait les huguenots & ne les craignait pas; mon pére ne les aimait point & les craignait: moi je ne les aime ni ne les crainds.»

Il s'exprimait toûjours noblement & avec précision, s'étudiant en public à parler comme à agir en souverain. lorsque le duc d'anjou partit pour aller régnèr en espagne, il lui dit, pour marquer l'union qui allait désormais joindre les deux nations: il n'y a plus de pirénées.

Louis XIV avait dans l'esprit plus de justesse & de dignité, que de saillies; & d'ailleurs on n'éxige pas qu'un roi dise des choses mémorables, mais qu'il en fasse.

Ce qui est nécessaire à tout homme en place, c'est de ne laisser sortir personne mécontent de sa présence, & de se rendre [p. 99] agréable à tous ceux qui l'approchent. on ne peut faire du bien à tout moment, mais on peut toûjours dire des choses qui plaisent. il s'en était fait une heureuse habitude. c'était entre lui & sa cour un commerce continuel, de tout ce que la majesté peut avoir de graces sans jamais se dégrader, & de tout ce que l'empressement de servir & de plaire peut avoir de finesse, sans l'air de la bassesse. il était, surtout avec les femmes, d'une attention & d'une politesse qui augmentait encor celle de ses courtisans; & il ne perdit jamais l'occasion de dire aux hommes de ces choses qui flattent l'amour propre en excitant l'émulation, & qui laissent un long souvenir.

Un jour, madame la duchesse de bourgogne encor fort jeune, voiant à son souper un officier qui était très laid, plaisanta beaucoup & très haut sur sa laideur: «je le trouve, madame, (dit le roi encor plus haut) un des plus beaux hommes de mon roiaume; car c'est un des plus braves.»

Le comte de marivaux lieutenant-général, homme un peu brutal & qui n'avait pas adouci son caractére dans la cour même de louis XIV, avait perdu un bras dans une action, & se plaignait au roi qui l'avait pourtant récompensé, [p. 100] autant qu'on le peut faire pour un bras cassé: «je voudrais avoir perdu aussi l'autre, dit-il, & ne plus servir votre majesté.» j'en serais bien fâché pour vous & pour moi, lui répondit louis XIV: & ce discours fut suivi d'une grace qu'il lui accorda. il était si éloigné de dire des choses désagréables, qui sont des traits mortels dans la bouche d'un prince, qu'il ne se permettait pas même les plus innocentes & les plus douces railleries; tandis que des particuliers en font tous les jours de si cruelles & de si funestes.

Il se plaisait & se connaissait à ces choses ingénieuses, aux impromptus, aux chansons agréables; & quelquefois même il faisait sur le champ de petites parodies sur les airs qui étaient en vogue, comme celle-ci:

Chez mon cadet de frére,
Le chancelier serrant
N'est pas trop nécessaire;
Et le sage boifrand
Est celui qui sait plaire.

& cette autre, qu'il fit en congédiant un jour le conseil:

Le conseil à ses yeux a beau se présenter;
[p. 101] Sitôt qu'il voit sa chienne il quitte tout pour elle:
Rien ne peut l'arréter,
Quand la chasse l'appelle.

Ces bagatelles servent au moins à faire voir, que les agrémens de l'esprit faisaient un des plaisirs de sa cour, qu'il entrait dans ces plaisirs; & qu'il savait dans le particulier vivre en homme, aussi bien que représentèr en monarque sur le théatre du monde.

Sa lettre à l'archévêque de rheims au sujet du marquis de barbésieux, quoiqu'écrite d'un stile extrémement négligé, fait plus d'honneur à son caractére, que les pensées les plus ingénieuses n'en auraient fait à son esprit. il avait donné à ce jeune homme la place de secretaire d'état de la guerre, qu'avait eû le marquis de louvois son pére. bientôt mécontent de la conduite de son nouveau secretaire d'état, il veut le corriger sans le trop mortifier. dans cette vuë il s'adresse à son oncle l'archévêque de rheims; il le prie d'avertir son neveu. c'est un maître instruit de tout, c'est un pére qui parle.

«Je sai, dit-il, ce que je dois à la mémoire de monsieur de louvois; mais si votre neveu ne change de conduite, je serai forcé de prendre un [p. 102] parti. j'en serai fâché; mais il en faudra prendre un. il a des talens; mais il n'en fait pas un bon usage. il donne trop souvent à souper aux princes, au lieu de travailler; il néglige les affaires pour ses plaisirs; il fait attendre trop long-tems les officiers dans son antichambre; il leur parle avec hauteur, & quelquefois avec dureté.»

Voilà ce que ma mémoire me fournit de cette lettre, que j'ai vuë autrefois en original. elle fait bien voir, que louis XIV n'était pas gouverné par ses ministres comme on l'a cru, & qu'il savait gouverner ses ministres.

Il aimait les louanges; & il est à souhaiter qu'un roi les aime, parce qu'alors il s'efforce de les mériter. mais louis XIV ne les recevait pas toûjours, quand elles étaient trop fortes. lorsque notre académie, qui lui rendait toûjours compte des sujets qu'elle proposait pour ses prix, lui fit voir celui-ci: quelle est de toutes les vertus du roi, celle qui mérite la préférence? le roi rougit, & ne voulut pas qu'un tel sujet fût traité. il souffrit les prologues de quinaut; mais c'était dans les beaux jours de sa gloire, dans le tems où l'ivresse de la nation excusait la sienne. virgile & horace par reconnaissance, & ovide par [p. 103] une indigne faiblesse, prodiguérent à auguste des éloges plus forts, & (si on songe aux proscriptions) bien moins mérités.

Le duc d'antin se distingua dans ce siécle par un art singulier, non pas de dire des choses flatteuses, mais d'en faire, le roi va coucher à petit-bourg; il y critique une grande allée d'arbres, qui cachait la vuë de la riviére. le duc d'antin la fait abattre pendant la nuit. le roi, à son réveil, est étonné de ne plus voir ces arbres qu'il avait condannés. c'est parce que votre majesté les a condannés, qu'elle ne les voit plus, répond le duc.

Nous avons aussi rapporté ailleurs, que le même homme aiant remarqué qu'un bois assez grand au bout du canal de fontainebleau déplaisait au roi, il prit le moment d'une promenade, & tout étant préparé, il se fit donnèr un ordre de couper ce bois, & on le vit dans l'instant abattu tout entier. ces traits sont d'un courtisan ingénieux, & non pas d'un flatteur.

On a accusé louis XIV d'un orgueil insupportable, parce que la base de sa statue à la place des victoires est entourée d'esclaves enchainés. mais ce n'est point lui qui fit ériger cette statue, ni celle qu'on voit à la place de vendôme. celle de la [p. 104] place des victoires est le monument de la grandeur d'ame & de la reconnaissance du premier maréchal de la feuillade pour son maître. il y dépensa cinq-cent-mille livres, qui font près d'un million aujourd'hui; & la ville en ajoûta autant pour rendre la place réguliére. j'ai toûjours été révolté, contre l'injustice qui imputait à louis XIV le faste de cette statuë, & contre l'indifférence qui ne rend pas assez de justice à la magnanimité du maréchal.

On ne parlait que de ces quatre esclaves; mais ils figurent des vices domtés, encor plus que des nations vaincuës; le duël aboli, l'hérésie détruite. les inscriptions le témoignent assez. elles célébrent aussi la jonction des mèrs, la paix de nimégue, & ne parlent que de bienfaits; & aucun de ces esclaves n'a rien qui caractérise les peuples vaincus par louis XIV. d'ailleurs c'est un ancien usage des sculpteurs, de mettre des esclaves aux pieds des statuës des rois. il vaudrait mieux y représenter des citoiens libres & heureux. mais enfin on voit des esclaves aux pieds du clément henri quatre & de louis XIII à paris; on en voit à livourne sous la statuë de ferdinand de médicis, qui n'enchaîna assûrément aucune nation; on en voit à berlin sous la statuë d'un électeur, qui repoussa [p. 105] les suédois, mais qui ne fit point de conquêtes.

Les voisins de la france, & les français eux-mêmes, ont rendu très injustement louis XIV responsable de cet usage. l'inscription, viro immortali, a l'homme immortel, a été traitée d'idolâtrie; comme si ce mot signifiait autre chose, que l'immortalité de sa gloire. l'inscription de viviani, à sa maison de florence,

Aedes à deo datae,
Maison donnée par un dieu,

serait bien plus idolâtre: elle n'est pourtant qu'une allusion, au surnom de dieu-donné, & au vers de virgile, deus nobis haec otia fecit.

A l'égard de la statuë de la place vendôme, c'est la ville qui l'a érigée. le roi avait destiné les bâtimens de cette place, pour sa bibliothéque publique. la place était plus vaste; elle avait d'abord trois faces, qui étaient celles d'un palais immense, dont les murs étaient déja élevés, lorsque le malheur des tems, en 1701, força la ville de bâtir des maisons de particuliers sur les ruines de ce palais commencé. ainsi le louvre n'a point été fini; ainsi la fontaine & l'obélisque, que colbert voulait [p. 106] faire élever vis-à-vis le portail de perrault, n'ont paru que dans les desseins; ainsi le beau portail de saint-gervais est demeuré offusqué; & la pluspart des monumens de paris laissent des regrets.

La nation désirait, que louis XIV eût préféré son louvre & sa capitale au palais de versailles, que le duc de créqui appelait un favori sans mérite. la postérité admire avec reconnaissance, ce qu'on a fait de grand pour le public; mais la critique se joind à l'admiration, quand on voit ce que louis XIV a fait de superbe & de défectueux pour sa maison de campagne.

Il résulte de tout ce qu'on vient de rapporter, que louis XIV aimait en tout la grandeur & la gloire. un prince, qui aiant fait d'aussi grandes choses que lui, serait encor simple & modeste, serait le premier des rois, & louis XIV le second.17

S'il se repentit en mourant, d'avoir entrepris legérement des guerres, il faut convenir, qu'il ne jugeait pas par les événemens; car de toutes ses guerres, la plus juste & la plus indispensable, [p. 107] celle de 1701, fut la seule malheureuse.

Il eut de son mariage, outre monseigneur, deux fils & trois filles morts dans l'enfance. ses amours furent plus heureux: il n'y eut que deux de ses enfans naturels qui moururent au berceau; huit autres vécurent, furent légitimés, & cinq eurent postérité. il eut encor d'une demoiselle attachée à madame de montespan, une fille non reconnuë, qu'il maria à un gentilhomme d'auprès de versailles, nommé de la queuë.

On soupçonna avec beaucoup de vraisemblance, une religieuse de l'abbaïe de moret, d'être sa fille. elle était extrémement basannée, & d'ailleurs lui ressemblait. le roi lui donna vingt-mille écus de dot, en la plaçant dans ce couvent. l'opinion qu'elle avait de sa naissance, lui donnait un orgueil dont ses supérieures se plaignirent. madame de maintenon, dans un voiage de fontainebleau, alla au couvent de moret; & voulant inspirer plus de modestie à cette religieuse, elle fit ce qu'elle put pour lui ôter l'idée qui nourrissait sa fierté. «madame, (lui dit cette personne) la peine que prend une dame de votre élévation, de venir exprès ici me dire que je ne suis pas fille du roi, me [p. 108] persuade que je le suis.» le couvent de moret se souvient encor de cette anecdote.

Tant de détails pourraient rebutér un philosophe. mais la curiosité, cette faiblesse si commune aux hommes, cesse presque d'en être une, quand elle a pour objet des tems & des hommes qui attirent les regards de la postérité.

[p. 68] CHAPITRE VINGT-SIXIÉME.

Suite des particularités & anecdotes.

Madame de fontange devint grosse en 1680. on la fit duchesse. elle ne jouit pas long-tems de sa fortune: elle mourut un an après, des suites de sa couche; & le fils qu'elle avait eû du roi, ne survécut pas à sa mére.

La marquise de montespan, n'aiant plus de rivale déclarée, n'en posséda pas plus un cœur fatigué d'elle & de ses murmures. quand les hommes ne sont plus dans leur jeunesse, ils ont presque tous besoin [p. 69] de la société d'une femme complaisante. le poids des affaires rend surtout cette consolation nécessaire. la nouvelle favorite, madame de maintenon, qui sentait le pouvoir secret qu'elle acquérait tous les jours, se conduisait avec cet art, qui est si naturel aux femmes, & qui ne déplaît pas aux hommes.

Elle écrivait un jour à madame de frontenac sa cousine, en qui elle avait une entiére confiance: «je le renvoie toûjours affligé & jamais désespéré.» dans ce tems, où sa faveur croissait & où madame de montespan touchait à sa chûte, ces deux rivales se voiaient tous les jours, tantôt avec une aigreur secrette, tantôt avec une confiance passagére, que la nécessité de se parlèr & la lassitude de la contrainte mettaient quelquefois dans leurs entretiens. elles convinrent de faire, chacune de leur côté, des mémoires de tout ce qui se passait à la cour. l'ouvrage ne fut pas poussé fort loin. madame de montespan se plaisait à lire quelque chose de ces mémoires à ses amis, dans les derniéres années de sa vie. la dévotion qui se mêlait à toutes ces intrigues secrettes, affermissait encor la faveur de madame de maintenon, & éloignait madame de montespan. le roi se reprochait son attachement pour une [p. 70] femme mariée, & sentait surtout ce scrupule, depuis qu'il ne sentait plus d'amour. cette situation embarrassante subsista jusqu'en 1685, année mémorable par la révocation de l'édit de nantes. on voiait alors des scénes bien différentes: d'un côté, le désespoir & la fuite d'une partie de la nation; de l'autre, de nouvelles fêtes à versailles; trianon & marli bâtis, la nature forcée dans tous ces lieux de délices, & des jardins où l'art était épuisé. le mariage du petit-fils du grand condé, & de mademoiselle de nantes fille du roi & de madame de montespan, fut le dernier triomphe de cette maîtresse, qui commençait à se retirer de la cour.

Le roi maria depuis deux enfans qu'il avait eûs d'elle, mademoiselle de blois avec le duc de chartres que nous avons vu régent du roiaume, & le duc du maine à louise bénédicte de bourbon, petite-fille du grand condé & sœur de monsieur le duc, princesse célébre par son esprit & par le goût des arts. ceux qui ont seulement approché du palais roial & de sceaux, savent combien sont faux tous les bruits populaires, recueillis dans tant d'histoires concernant ces mariages. il y a plus de vingt volumes, dans lesquels vous verrez que la maison d'orléans & la maison de condé s'indignérent de [p. 71] ces propositions; vous lirez que la princesse mére du duc de chartres menaça son fils; vous lirez même qu'elle le frapa. les anecdotes de la constitution rapportent sérieusement, que le roi s'étant servi de l'abbé du bois sous-précepteur du duc de chartres, pour faire réussir la négociation, cet abbé n'en vint à bout qu'avec peine, & qu'il demanda pour récompense le chapeau de cardinal. tout ce qui regarde la cour est écrit ainsi dans beaucoup d'histoires.

Avant la célébration du mariage de monsieur le duc avec mademoiselle de nantes, le marquis de seignelai, à cette occasion, donna au roi une fête digne de ce monarque, dans les jardins de sceaux plantés par le nôtre avec autant de goût que ceux de versailles. on y éxécuta l'idylle de la paix, composée par racine. il y eut dans versailles un nouveau carrousel; & après le mariage, le roi étala une magnificence singuliére, dont le cardinal mazarin avait donné la premiére idée en 1656. on établit dans le salon de marli quatre boutiques, remplies de ce que l'industrie des ouvriers de paris avait produit de plus riche & de plus recherché. ces quatre boutiques étaient autant de décorations superbes, qui représentaient les quatre saisons de l'année. madame de [p. 72] montespan en tenait une avec monseigneur. sa rivale en tenait une autre avec le duc du maine. les deux nouveaux mariés avaient chacun la leur: monsieur le duc avec madame de thiange; & madame la duchesse, à qui la bienséance ne permettait pas d'en tenir une avec un homme à cause de sa grande jeunesse, était avec la duchesse de chevreuse. les dames & les hommes nommés du voiage tiraient au sort les bijoux dont ces boutiques étaient garnies. ainsi le roi fit des présens à toute la cour, d'une maniére digne de lui. la lotterie du cardinal mazarin fut moins ingénieuse & moins brillante. ces lotteries avaient été mises en usage autrefois par les empereurs romains; mais aucun d'eux n'en releva la magnificence par tant de galanterie.

Après le mariage de sa fille, madame de montespan ne reparut plus à la cour. elle vécut à paris avec beaucoup de dignité. elle avait un grand revenu, mais viager; & le roi lui fit païer toûjours une pension de mille louis d'or par mois. elle allait prendre tous les ans les eaux à bourbon, & y mariait des filles du voisinage qu'elle dotait. elle n'était plus dans l'âge où l'imagination frapée par de vives impressions envoie aux carmélites. elle mourut à bourbon en 1707.

[p. 73] L'année même du mariage de mademoiselle de nantes avec monsieur le duc, mourut à chantilli le prince de condé à l'âge de soixante-six ans, d'une maladie qui empira par l'effort qu'il fit d'aller voir madame la duchesse, qui avait la petite vérole. on peut juger par cet empressement qui lui coûta la vie, s'il avait eû de la répugnance au mariage de son petit-fils, avec cette fille du roi & de madame de montespan, comme l'ont écrit tous ces gazetiers de mensonges, dont la hollande était alors infectée. on trouve encor dans une histoire du prince de condé, sortie de ces mêmes bureaux d'ignorance & d'imposture, que le roi se plaisait en toute occasion à mortifier ce prince; & qu'au mariage de la princesse de conti fille de madame de la valiére, le secretaire d'état lui refusa le titre de haut & puissant seigneur, comme si ce titre était celui qu'on donne aux princes du sang. l'écrivain, qui a composé l'histoire de louis XIV dans avignon en partie sur ces malheureux mémoires, pouvait-il assez ignorer le monde & les usages de notre cour, pour rapporter des faussetés pareilles?

Cependant, après le mariage de madame la duchesse, après l'éclipse totale de la mére, madame de maintenon victorieuse [p. 74] prit un tel ascendant, & inspira à louis XIV tant de tendresse & de scrupules, que le roi, par le conseil du pére de la chaise, l'épousa secrettement en 1686, dans une petite chapelle qui était au bout de l'apartement occupé depuis par le duc de bourgogne. il n'y eut aucun contrat, aucune stipulation. l'archévêque de paris, harlai de chamvalon, leur donna la bénédiction; le confesseur y assista; montchevreuil & bontems premier valet de chambre y furent comme témoins. il n'est plus permis de supprimer ce fait, rapporté dans tous les auteurs, qui d'ailleurs se sont trompés sur les noms, sur le lieu & sur les dates. louis XIV était alors dans sa quarante-huitiéme année, & la personne qu'il épousait, dans sa cinquante-deuxiéme. ce prince, comblé de gloire, voulait mélèr aux fatigues du gouvernement les douceurs innocentes d'une vie privée. ce mariage ne l'engageait à rien d'indigne de son rang. il fut toûjours problématique à la cour, si madame de maintenon était mariée. on respectait en elle le choix du roi, sans la traitèr en reine.

La destinée de cette dame paraît parmi nous fort étrange, quoique l'histoire fournisse beaucoup d'éxemples de fortunes plus grandes & plus marquées, qui [p. 75] ont eû des commencemens plus petits. la marquise de saint-sébastien, que le roi de sardaigne victor-amédée épousa, n'était pas au dessus de madame de maintenon; & l'impératrice catherine était fort au dessous.

Elle était d'une très ancienne maison, petite-fille de théodore-agrippa d'aubigné, gentil-homme ordinaire de la chambre de henri quatre. son pére, constant d'aubigné, aiant voulu faire un établissement à la caroline & s'étant adressé aux anglais, fut mis en prison au château trompette, & en fut délivré par la fille du gouverneur nommé de cardillac, gentil-homme bourdelois. constant d'aubigné épousa sa bienfaitrice en 1627, & la mena à la caroline. de retour en france avec elle au bout de quelques années, tous deux furent enfermés à niort en poitou par ordre de la cour. ce fut dans cette prison de niort, que nâquit en 1635 françoise d'aubigné, destinée à éprouver toutes les rigueurs & toutes les faveurs de la fortune. menée à l'âge de trois ans en amérique, laissée par la négligence d'un domestique sur le rivage, prête à y être dévorée d'un serpent, ramenée orpheline à l'âge de douze ans, élevée avec la plus grande dureté chez madame de neuillant, mére de la duchesse de navailles [p. 76] sa parente, elle fut trop heureuse d'épousèr en 1651 paul scarron, qui logeait auprès d'elle dans la ruë d'enfer. scarron était d'une ancienne famille du parlement, illustrée par de grandes alliances; mais le burlesque, dont il faisait profession, l'avilissait en le faisant aimer. ce fut pourtant une fortune pour mademoiselle d'aubigné, d'épouser cet homme disgracié de la nature, impotent, & qui n'avait qu'un bien très médiocre. elle fit avant ce mariage abjuration de la religion calviniste, qui était la sienne comme celle de ses ancêtres. sa beauté & son esprit la firent bientôt distinguer. elle fut recherchée avec empressement de la meilleure compagnie de paris; & ce tems de sa jeunesse fut sans doute le plus heureux de sa vie. après la mort de son mari arrivée en 1660, elle fit long-tems sollicitèr auprès du roi une petite pension de quinze-cent livres, dont scarron avait joui. enfin au bout de quelques années, le roi lui en donna une de deux-mille, en lui disant: «madame, je vous ai fait attendre long-tems; mais vous avez tant d'amis, que j'ai voulu avoir seul ce mérite auprès de vous.»

Ce fait m'a été conté par le cardinal de fleury, qui se plaisait à le rapporter souvent, parce qu'il disait que louis XIV [p. 77] lui avait fait le même compliment, en lui donnant l'évéché de fréjus.

En 1671 la naissance du duc du maine était encor un secret. ce prince, âgé d'un an, avait un pied difforme. le premier médecin d'aquin, qui était dans la confidence, jugea qu'il fallait envoier l'enfant aux eaux de barége. on chercha une personne de confiance, qui pût se charger de ce dépôt. le roi se souvint de madame scarron. monsieur de louvois alla secrettement à paris lui proposer ce voiage. elle eut soin depuis ce tems-là de l'éducation du duc du maine, nommée à cet emploi par le roi, & non point par madame de montespan, comme on l'a dit. elle écrivait au roi directement; ses lettres plûrent beaucoup. voilà l'origine de sa fortune: son mérite fit tout le reste. le roi lui acheta la terre de maintenon en 1679. ce fut le seul bien fonds qu'elle eut jamais.

Son élévation ne fut pour elle qu'une retraite. renfermée dans son apartement qui était de plein-pied à celui du roi, elle se bornait à une société de deux ou trois dames retirées comme elle; encor les voiait-elle rarement. le roi venait tous les jours chez elle après son dîner, avant & après le souper, & y demeurait jusqu'à minuit. il y travaillait avec [p. 78] ses ministres, pendant que madame de maintenon s'occupait à la lecture, ou à quelque ouvrage des mains; ne s'empressant jamais de parler d'affaires d'état, paraissant souvent les ignorer, rejettant bien loin tout ce qui avait la plus legére apparence d'intrigue & de cabale, beaucoup plus occupée de complaire à celui qui gouvernait que de gouverner, & ménageant son crédit en ne l'emploiant qu'avec une circonspection extrême. elle ne profita point de sa place, pour faire tomber toutes les dignités & tous les grands emplois dans sa famille. son frére, le comte d'aubigné ancien lieutenant-général, ne fut pas même maréchal de france. un cordon bleu & quelques parts secrettes dans les fermes générales furent sa seule fortune; aussi disait-il au maréchal de vivonne, frére de madame de montespan, qu'il avait eû son bâton de maréchal en argent comptant. ce fut une fortune pour la fille de ce comte, d'épouser le duc de noailles, plustôt que pour le duc. deux autres niéces de madame de maintenon, l'une mariée au marquis de caylus, l'autre au marquis de villette, n'eurent presque point de bien. une pension modique, donnée par louis XIV, fut presque la seule dot de madame de caylus. madame de villette n'eut guères que [p. 79] des espérances. c'est elle qui épousa en secondes nôces le vicomte de bullingbrock, célébre par son ministére, sa disgrace & son éloquence. elle m'a conté souvent, qu'elle avait reproché à sa tante le peu qu'elle faisait pour sa famille, & qu'elle lui avait dit en colére: «vous voulez jouir de votre modération, & que votre famille en soit la victime.» madame de maintenon oubliait tout, quand elle craignait de choquer les sentimens de louis XIV. elle n'osa pas même soûtenir le cardinal de noailles contre le pére le tellier. elle avait beaucoup d'amitié pour racine; mais cette amitié ne fut pas assez courageuse, pour le protéger contre un leger ressentiment du roi. un jour touchée de l'éloquence avec laquelle il lui avait parlé de la misére du peuple en 1698, misére toûjours éxagérée, mais qui fut portée réellement depuis jusqu'à une extrémité déplorable, elle engagea son ami à faire un mémoire, qui montrât le mal & le reméde. le roi le lut; & en aiant témoigné du chagrin, elle eut la faiblesse d'en nommer l'auteur, & celle de ne le pas défendre. racine, plus faible encor, fut pénétré d'une douleur qui le mit au tombeau.

Du même fonds de caractére, dont elle était incapable de rendre service, elle [p. 80] l'était aussi de nuire. l'abbé de choisi rapporte, que le ministre louvois s'était jetté aux pieds de louis XIV, pour l'empécher d'épouser la veuve scarron. si l'abbé de choisi savait ce fait, madame de maintenon en était instruite; & non seulement elle pardonna à ce ministre, mais elle appaisa le roi dans les mouvemens de colére, que l'humeur brusque du marquis de louvois inspirait quelquefois à son maître.

Louis XIV, en épousant madame de maintenon, ne se donna donc qu'une compagne agréable & soûmise. la seule distinction publique qui faisait sentir son élévation secrette, c'était qu'à la messe elle occupait une de ces deux petites tribunes ou lanternes dorées, qui ne semblaient faites que pour le roi & la reine. d'ailleurs, nul extérieur de grandeur. la dévotion qu'elle avait inspirée au roi, & qui avait servi à son mariage, devint peu-à-peu un sentiment vrai & profond, que l'âge & l'ennui fortifiérent. elle s'était déja donnée à la cour & auprès du roi la considération d'une fondatrice, en rassemblant à noisi plusieurs filles de qualité; & le roi avait affecté déja les revenus de l'abbaïe de saint-denis à cette communauté naissante. saint-cyr fut bâti au bout du parc de versailles en [p. 81] 1686. elle donna alors à cet établissement toute sa forme, en fit les réglemens avec godet desmarêts évêque de chartres, & fut elle-même supérieure de ce couvent. elle y allait souvent passer quelques heures; & quand je dis que l'ennui la déterminait à ces occupations, je ne parle que d'après elle. qu'on lise ce qu'elle écrivait à madame de la maisonfort, dont il est parlé dans le chapitre du quiétisme:

«Que ne puis-je vous donner mon expérience! que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, & la peine qu'ils ont à remplir leurs journées! ne voiez-vous pas que je meurs de tristesse, dans une fortune qu'on aurait eû peine à imaginer? j'ai été jeune & jolie; j'ai goûté des plaisirs; j'ai été aimée partout. dans un âge plus avancé, j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit; je suis venuë à la faveur; & je vous proteste, ma chére fille, que tous les états laissent un vuide affreux.»

Si quelque chose pouvait détromper de l'ambition, ce serait assûrément cette lettre. madame de maintenon, qui pourtant n'avait d'autre chagrin que l'uniformité de sa vie auprès d'un grand roi, [p. 82] disait un jour au comte d'aubigné, son frére: «je n'y peux plus tenir; je voudrais être morte.» on sait quelle réponse il lui fit: vous avez donc parole d'épouser Dieu le pére.

A la mort du roi, elle se retira entiérement à saint-cyr. ce qui peut surprendre, c'est que louis XIV ne lui avait rien assûré. il la recommanda seulement au duc d'orléans. elle ne voulut qu'une pension de quatre-vingt-mille livres, qui lui fut éxactement païée jusqu'à sa mort, arrivée en 1719 le 15 d'avril. on a trop affecté d'oublier dans son épitaphe le nom de scarron: ce nom n'est point avilissant, & l'omission ne sert qu'à faire penser qu'il peut l'être.

La cour fut moins vive & plus sérieuse, depuis que le roi commença à menèr avec madame de maintenon une vie plus retirée; & la maladie considérable, qu'il eut en 1686, contribua encor à lui ôter le goût de ces fêtes galantes, qui avaient jusques-là signalé presque toutes ses années. il fut attaqué d'une fistule dans le dernier des intestins. l'art de la chirurgie, qui fit sous ce régne plus de progrès que dans tout le reste de l'europe, n'était pas encor familiarisé avec cette maladie. le cardinal de richelieu en était mort, faute d'avoir été bien traité. le [p. 83] danger du roi émut toute la france. les églises furent remplies d'un peuple innombrable, qui demandait la guérison de son roi, les larmes aux yeux. ce mouvement d'un attendrissement général fut presque semblable à ce qui s'est passé de nos jours, lorsque son successeur fut en danger de mort à metz en 1744. ces deux époques apprendront à jamais aux rois, ce qu'ils doivent à une nation qui sait aimèr ainsi.

Dès que louis XIV ressentit les premiéres atteintes de ce mal, son premier chirurgien félix alla dans les hôpitaux chercher des malades qui fussent dans le même péril; il consulta les meilleurs chirurgiens; il inventa avec eux des instrumens, qui abrégeaient l'opération, & qui la rendaient moins douloureuse. le roi la souffrit sans se plaindre. il fit travailler ses ministres auprès de son lit le jour même; & afin que la nouvelle de son danger ne fit aucun changement dans les cours de l'europe, il donna audiance le lendemain aux ambassadeurs. a ce courage d'esprit se joignait la magnanimité avec laquelle il récompensa félix: il lui donna une terre, qui valait alors plus de cinquante-mille écus.

Depuis ce tems, le roi n'alla plus aux spectacles. la dauphine de baviére, devenuë [p. 84] mélancolique & attaquée d'une maladie de langueur qui la fit enfin mourir en 1690, se refusa à tous les plaisirs, & resta obstinément dans son apartement. elle aimait les lettres; elle avait même fait des vers; mais dans sa mélancolie, elle n'aimait plus que la solitude.

Ce fut le couvent de saint-cyr, qui ranima le goût des choses d'esprit. madame de maintenon pria racine, qui avait renoncé au théatre pour le jansénisme & pour la cour, de faire une tragédie qui pût être représentée par ses éléves. elle voulut un sujet tiré de la bible. racine composa esthèr. cette piéce, aiant d'abord été jouée dans la maison de saint-cyr, le fut ensuite plusieurs fois à versailles devant le roi dans l'hivèr de 1689. des prélats, des jésuites, s'empressaient d'obtenir la permission de voir ce singulier spectacle. il paraît remarquable, que cette piéce eut alors un succès universel; & que deux ans après, athalie jouée par les mêmes personnes, n'en eut aucun. ce fut tout le contraire, quand on joua ces piéces à paris, long-tems après la mort de l'auteur & après le tems des partialités. athalie représentée en 1717, fut reçuë comme elle devait l'être, avec transport; & esthèr en 1721 n'inspira que de la froideur & ne [p. 85] reparut plus. mais alors il n'y avait plus de courtisans, qui reconnussent avec flatterie esthèr dans madame de maintenon, & avec malignité vasthi dans madame de montespan, aman dans monsieur de louvois, & surtout les huguenots persécutés par ce ministre, dans la proscription des hébreux. le public impartial ne vit qu'une aventure sans intérêt & sans vraisemblance; un roi insensé, qui a passé six mois avec sa femme sans savoir qui elle est, & qui aiant sans le moindre prétexte donné ordre de faire égorger toute une nation, fait ensuite pendre son favori tout aussi legérement. mais malgré le vice du sujet, trente vers d'esthèr valent mieux que beaucoup de tragédies, qui ont eû de grands succès.

Ces amusemens ingénieux recommencérent, pour l'éducation d'adelaïde de savoie duchesse de bourgogne, amenée en france à l'âge de onze ans.

C'est une des contradictions de nos mœurs, que d'un côté on ait laissé un reste d'infamie attaché aux spectacles publics, & que de l'autre on ait regardé ces représentations comme l'éxercice le plus noble & le plus digne des personnes roiales. on éleva un petit théatre dans l'apartement de madame de maintenon. la duchesse de bourgogne, le duc d'orléans, [p. 86] y jouaient avec les personnes de la cour qui avaient le plus de talens. le fameux acteur baron leur donnait des leçons, & jouait avec eux. la pluspart des tragédies de duché, valet de chambre du roi, furent composées pour ce théatre; & l'abbé genêt, aumônier de la duchesse d'orléans, en faisait pour la duchesse du maine, que cette princesse & sa cour représentaient.

Ces occupations formaient l'esprit & animaient la société. comment le marquis de la fare peut-il dire dans ses mémoires, que depuis la mort de madame, ce ne fut que jeu, confusion & impolitesse? on jouait beaucoup dans les voiages de marli & de fontainebleau, mais jamais chez madame de maintenon; & la cour fut en tout tems le modéle de la plus parfaite politesse. la duchesse d'orléans alors duchesse de chartres, la duchesse du maine, la princesse de conti, madame la duchesse, démentaient bien ce que le marquis de la fare avance. cet homme, qui dans le commerce était de la plus grande indulgence, n'a presque écrit qu'une satire. il était mécontent du gouvernement: il passait sa vie dans une société qui se faisait un mérite de condanner la cour; & cette société fit d'un homme très aimable, un historien quelquefois injuste.

[p. 87] Ni lui, ni aucun de ceux qui ont trop censuré louis XIV, ne peut disconvenir, qu'il ne fût jusqu'à la journée d'hochstet, le seul puissant, le seul magnifique, le seul grand presque en tout genre. car quoiqu'il y eût des héros comme jean sobieski & des rois de suéde, qui effaçassent en lui le guerrier, personne n'effaça le monarque. il faut avouèr encor, qu'il soûtint ses malheurs & qu'il les répara. il a eû des défauts; il a fait des fautes: mais ceux qui le condannent, l'auraient-ils égalé, s'ils avaient été à sa place?

La duchesse de bourgogne croissait en graces & en mérite. les éloges, qu'on donnait à sa sœur en espagne, lui inspirérent une émulation qui redoubla en elle le talent de plaire. ce n'était pas une beauté parfaite; mais elle avait le regard tel que son fils, un grand air, une taille noble. ces avantages étaient embellis par son esprit, & plus encor par l'envie extrême de mériter les suffrages de tout le monde. elle était, comme henriette d'angleterre, l'idole & le modéle de la cour, avec un plus haut rang: elle touchait au trône: la france attendait du duc de bourgogne un gouvernement, tel que les sages de l'antiquité en imaginérent, mais dont l'austérité serait tempérée par [p. 88] les graces de cette princesse, plus faites encor pour être senties que la philosophie de son époux. le monde sait, comme toutes ces espérances furent trompées. ce fut le sort de louis XIV, de voir périr en france toute sa famille par des morts prématurées; sa femme à quarante-cinq ans, son fils unique à cinquante; & un an après que nous eûmes perdu son fils, nous vîmes son petit-fils le dauphin duc de bourgogne, la dauphine sa femme, leur fils aîné le duc de bretagne, portés à saint-denis dans le même char, au mois d'avril 1712; tandis que le dernier de leurs enfans, monté depuis sur le trône, était dans son berceau aux portes de la mort. le duc de berri, frére du duc de bourgogne, les suivit deux ans après; & sa fille, dans le même tems, passa du berceau au cercueil.

Ce tems de désolation laissa dans les cœurs une impression si profonde, que dans la minorité de louis XV j'ai vu plusieurs personnes, qui ne parlaient de ces pertes qu'en versant des larmes. le plus à plaindre de tous les hommes, au milieu de tant de morts précipitées, était celui qui semblait devoir hériter bientôt du roiaume.

Ces mêmes soupçons, qu'on avait eûs à la mort de madame & à celle de marie-louise [p. 89] reine d'espagne, se réveillérent avec une fureur qui n'a point d'éxemple. l'excès de la douleur publique aurait presque excusé la calomnie, si elle avait été excusable. il y avait du délire à penser, qu'on eût pu faire périr par un crime tant de personnes roiales, en laissant vivre le seul qui pouvait les vanger. la maladie, qui emporta le dauphin de bourgogne, sa femme & son fils, était une rougeole pourprée épidémique. ce mal fit périr à paris en moins d'un mois plus de cinq-cent personnes. monsieur le duc de bourbon, petit-fils du prince de condé, le duc de la trimouille, madame de la vrilliére, madame de listenai, en furent attaqués à la cour. le marquis de gondrin, fils du duc d'antin, en mourut en deux jours. sa femme, depuis comtesse de toulouse, fut à l'agonie. cette maladie parcourut toute la france. elle fit périr en lorraine les aînés de ce duc de lorraine françois, destiné à être un jour empereur & à relever la maison d'aûtriche.

Cependant, ce fut assez qu'un médecin nommé boudin, homme de plaisir, hardi & ignorant, eût proféré ces paroles: «nous n'entendons rien à de pareilles maladies.» c'en fut assez, dis-je, pour que la calomnie n'eût point de frein. [p. 90] Un prince avait un laboratoire, & étudiait la chimie ainsi que beaucoup d'autres arts: c'était une preuve sans réplique. le cri public était affreux. il faut en avoir été témoin pour le croire. plusieurs écrits & quelques malheureuses histoires de louis XIV éterniseraient les soupçons, si des hommes instruits ne prenaient soin de les détruire. j'ose dire, que frapé de tout tems de l'injustice des hommes, j'ai fait bien des recherches pour savoir la vérité. voici ce que m'a répété plusieurs fois le marquis de canillac, l'un des plus honnêtes hommes du roiaume, intimement attaché à ce prince soupçonné, dont il eut depuis beaucoup à se plaindre. le marquis de canillac, au milieu de cette clameur publique, va le voir dans son palais. il le trouve étendu à terre, versant des larmes, aliéné par le désespoir. son chimiste homberg court se rendre à la bastille, pour se constituer prisonnier: mais on n'avait point d'ordre de le recevoir; on le refuse. le prince (qui le croirait!) demande lui-même, dans l'excès de sa douleur, à être mis en prison; il veut que des formes juridiques éclaircissent son innocence; sa mére demande avec lui cette justification cruelle. la lettre de cachet s'expédie; mais elle n'est point signée: & le [p. 91] marquis de canillac, dans cette émotion d'esprit, conserva seul assez de sang-froid, pour sentir les conséquences d'une démarche si désespérée. il fit que la mére du prince s'opposa à cette lettre de cachet ignominieuse. le monarque qui l'accordait, & son neveu qui la demandait, étaient également malheureux.

Louis XIV dévorait sa douleur en public: il se laissa voir à l'ordinaire. mais en secret les ressentimens de tant de malheurs le pénétraient & lui donnaient des convulsions. il éprouvait toutes ces pertes domestiques à la suite d'une guerre malheureuse, avant qu'il fût assûré de la paix, & dans un tems où la misére désolait le roiaume. on ne le vit pas succombèr un moment à ses afflictions.

Le reste de sa vie fut triste. le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les cœurs. sa confiance entiére pour le pére le tellier, homme trop violent, acheva de les révolter. c'est une chose très remarquable, que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur. il perdit les trois derniéres années de sa vie, dans l'esprit de la pluspart de ses sujets, tout ce qu'il avait fait de grand & de mémorable.

Privé de presque tous ses enfans, sa [p. 92] tendresse, qui redoublait pour le duc du maine & pour le comte de toulouse, ses fils légitimés, le porta à leur donnèr en 1715, les droits, les honneurs, le rang, le nom de princes du sang, par un édit qui fut enregistré sans aucune remontrance. il assûrait, par cet édit, la couronne à leur maison, au défaut de tous les princes du sang de france; & tempérait ainsi par la loi naturelle, la sévérité des loix municipales [errata: loix positives], qui privent les enfans nés hors du mariage, de tous droits à la succession paternelle. les rois dispensent de cette loi. il crut pouvoir faire pour son sang, ce qu'il avait fait en faveur de plusieurs de ses sujets. il crut surtout pouvoir établir pour deux de ses enfans, ce qu'il avait fait passer au parlement sans opposition, pour les princes de la maison de lorraine. cependant on murmura. le procès, que les princes du sang intentérent depuis aux princes légitimés, est connu. ceux-ci ont conservé pour leurs personnes & pour leurs enfans les honneurs donnés par louis XIV. ce qui regarde leur postérité dépendra du tems, du mérite & de la fortune.

Louis XIV fut attaqué vers le milieu du mois d'août 1715, au retour de marli, de la maladie qui termina ses jours. ses [p. 93] jambes s'enflérent; la gangréne commença à se manifester. le comte de stairs ambassadeur d'angleterre paria, selon le génie de sa nation, que le roi ne passerait pas le mois de septembre. le duc d'orléans, qui au voiage de marli avait été absolument seul, eut alors toute la cour auprès de sa personne. un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima ses forces. il mangea, & l'empirique assûra qu'il guérirait. la foule, qui entourait le duc d'orléans, diminua dans le moment. «si le roi mange une seconde fois, dit le duc d'orléans, nous n'aurons plus personne.» mais la maladie était mortelle. les mesures étaient prises, pour donner la régence absoluë au duc d'orléans. le roi ne la lui avait laissée que très limitée par son testament déposé au parlement; ou plustôt, il ne l'avait établi que chef d'un conseil de régence, dans lequel il n'aurait que la voix prépondérante. cependant il lui dit: je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance. c'est qu'il ne croiait pas, qu'il y eût de loi fondamentale qui donnât dans une minorité un pouvoir sans bornes à l'héritier présomptif du roiaume. cette autorité suprême, dont on peut abuser, est dangereuse; mais l'autorité [p. 94] partagée l'est encor davantage. il crut qu'aiant été si bien obéi pendant sa vie, il le serait après sa mort, & ne se souvenait pas qu'on avait cassé le testament de son pére.

D'ailleurs personne n'ignore avec quelle grandeur d'ame il vit approcher la mort, disant à madame de maintenon: j'avais cru qu'il était plus difficile de mourir; disant à ses domestiques: pourquoi pleurez-vous? m'avez-vous cru immortel? donnant tranquilement ses ordres sur beaucoup de choses & même sur sa pompe funébre. quiconque a beaucoup de témoins de sa mort, meurt toûjours avec courage. louis XIII, dans sa derniére maladie, avait mis en musique le de profundis, qu'on devait chanter pour lui. le courage d'esprit avec lequel louis XIV vit sa fin, fut dépouillé de cette ostentation répanduë sur toute sa vie. ce courage alla jusqu'à avouer ses fautes. son successeur a toûjours conservé écrites au chevet de son lit, les paroles remarquables que ce monarque lui dit, en le tenant sur son lit entre ses bras: ces paroles ne sont point telles qu'elles sont rapportées dans toutes les histoires. les voici fidélement copiées: «vous allez être bientôt roi d'un grand roiaume. ce que je vous recommande plus [p. 95] fortement, est de n'oublier jamais les obligations que vous avez à Dieu. souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes. tâchez de conserver la paix avec vos voisins. j'ai trop aimé la guerre: ne m'imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses que j'ai faites. prenez conseil en toutes choses, & cherchez à connaître le meilleur pour le suivre toûjours. soulagez vos peuples le plustôt que vous le pourrez, & faites ce que j'ai eû le malheur de ne pouvoir faire moi-même.»

Il est à croire que ces paroles n'ont pas peu contribué, trente ans après, à cette paix que louis xv a donnée à ses ennemis; dans laquelle on a vu un roi victorieux rendre toutes ses conquêtes pour tenir sa parole, rétablir tous ses alliés, & devenir l'arbitre de l'europe par son désintéressement plus encor que par ses victoires.

Quoique la vie & la mort de louis XIV eussent été glorieuses, il ne fut pas aussi regretté qu'il le méritait. l'amour de la nouveauté, l'approche d'un tems de minorité où chacun se figurait une fortune, l'affaire de la constitution qui aigrissait les esprits; tout fit recevoir la nouvelle de sa mort avec un sentiment qui [p. 96] allait plus loin que l'indifférence. nous avons vu ce même peuple, qui en 1686 avait demandé au ciel avec larmes la guérison de son roi malade, suivre son convoi funébre avec des démonstrations bien différentes. on prétend que la reine sa mére lui avait dit un jour dans sa grande jeunesse: mon fils, ressemblez à votre grand-pére & non pas à votre pére. le roi en aiant demandé la raison: c'est, dit-elle, qu'à la mort de henri IV on pleurait, & qu'on a ri à celle de louis XIII. quoiqu'il en soit, il paraît que le tems, qui meurit les opinions des hommes, a mis le sceau à sa réputation; & malgré tout ce qu'on a écrit contre lui, on ne prononcera point son nom sans respect, & sans avoir l'idée d'un siécle à jamais mémorable.

Si on le considére dans sa vie privée, on le voit bon fils sans vouloir que se mére gouverne, bon mari même sans être jamais fidéle, bon pére, bon maître, & toûjours aimable avec dignité.

J'ai déja remarqué16 ailleurs, qu'il ne prononça jamais les paroles qu'on lui fait dire, lorsque le premier gentil-homme [p. 97] de la chambre & le grand maître de la garderobe se disputaient l'honneur de le servir: qu'importe lequel de mes valets me serve. un discours si grossier ne pouvait partir d'un homme aussi poli & aussi attentif qu'il l'était, & ne s'accordait guères avec ce qu'il lui dit un jour en effet au sujet de ses dettes: que ne parlez-vous à vos amis? mot bien différent, qui par lui-même valait beaucoup, & qui fut accompagné d'un don de cinquante-mille écus.

Il n'est pas même vrai, qu'il ait écrit au duc de la rochefoucault: «je vous fais mon compliment comme votre ami, sur la charge de grand-maître de la garderobe, que je vous donne comme votre roi.» les historiens lui font honneur de cette lettre. c'est ne pas sentir combien il est peu délicat, combien même il est dur de dire à celui dont on est le maître, qu'on est son maître. cela serait à sa place, si on écrivait à un sujet qui aurait été rebelle: c'est ce que henri quatre aurait pu dire au duc de maienne avant l'entiére réconciliation. le secretaire du cabinet rose écrivit cette lettre; & le roi avait trop de bon goût pour l'envoier. c'est ce bon goût qui lui fit supprimer les inscriptions fastueuses, dont charpentier de l'académie française avait chargé les tableaux de le brun, dans la galerie [p. 98] de versailles; l'incroiable passage du rhin, la merveilleuse prise de valenciennes, &c. le roi sentit que la prise de valenciennes, le passage du rhin, disaient davantage. charpentier avait eû raison d'orner d'inscriptions en notre langue les monumens de notre patrie; la flatterie seule avait nui à l'éxécution.

On a recueilli quelques réponses, quelques mots de ce prince, qui se réduisent à très peu de chose. on prétend, que quand il résolut d'abolir en france le calvinisme, il dit: «mon grand-pére aimait les huguenots & ne les craignait pas; mon pére ne les aimait point & les craignait: moi je ne les aime ni ne les crainds.»

Il s'exprimait toûjours noblement & avec précision, s'étudiant en public à parler comme à agir en souverain. lorsque le duc d'anjou partit pour aller régnèr en espagne, il lui dit, pour marquer l'union qui allait désormais joindre les deux nations: il n'y a plus de pirénées.

Louis XIV avait dans l'esprit plus de justesse & de dignité, que de saillies; & d'ailleurs on n'éxige pas qu'un roi dise des choses mémorables, mais qu'il en fasse.

Ce qui est nécessaire à tout homme en place, c'est de ne laisser sortir personne mécontent de sa présence, & de se rendre [p. 99] agréable à tous ceux qui l'approchent. on ne peut faire du bien à tout moment, mais on peut toûjours dire des choses qui plaisent. il s'en était fait une heureuse habitude. c'était entre lui & sa cour un commerce continuel, de tout ce que la majesté peut avoir de graces sans jamais se dégrader, & de tout ce que l'empressement de servir & de plaire peut avoir de finesse, sans l'air de la bassesse. il était, surtout avec les femmes, d'une attention & d'une politesse qui augmentait encor celle de ses courtisans; & il ne perdit jamais l'occasion de dire aux hommes de ces choses qui flattent l'amour propre en excitant l'émulation, & qui laissent un long souvenir.

Un jour, madame la duchesse de bourgogne encor fort jeune, voiant à son souper un officier qui était très laid, plaisanta beaucoup & très haut sur sa laideur: «je le trouve, madame, (dit le roi encor plus haut) un des plus beaux hommes de mon roiaume; car c'est un des plus braves.»

Le comte de marivaux lieutenant-général, homme un peu brutal & qui n'avait pas adouci son caractére dans la cour même de louis XIV, avait perdu un bras dans une action, & se plaignait au roi qui l'avait pourtant récompensé, [p. 100] autant qu'on le peut faire pour un bras cassé: «je voudrais avoir perdu aussi l'autre, dit-il, & ne plus servir votre majesté.» j'en serais bien fâché pour vous & pour moi, lui répondit louis XIV: & ce discours fut suivi d'une grace qu'il lui accorda. il était si éloigné de dire des choses désagréables, qui sont des traits mortels dans la bouche d'un prince, qu'il ne se permettait pas même les plus innocentes & les plus douces railleries; tandis que des particuliers en font tous les jours de si cruelles & de si funestes.

Il se plaisait & se connaissait à ces choses ingénieuses, aux impromptus, aux chansons agréables; & quelquefois même il faisait sur le champ de petites parodies sur les airs qui étaient en vogue, comme celle-ci:

Chez mon cadet de frére,
Le chancelier serrant
N'est pas trop nécessaire;
Et le sage boifrand
Est celui qui sait plaire.

& cette autre, qu'il fit en congédiant un jour le conseil:

Le conseil à ses yeux a beau se présenter;
[p. 101] Sitôt qu'il voit sa chienne il quitte tout pour elle:
Rien ne peut l'arréter,
Quand la chasse l'appelle.

Ces bagatelles servent au moins à faire voir, que les agrémens de l'esprit faisaient un des plaisirs de sa cour, qu'il entrait dans ces plaisirs; & qu'il savait dans le particulier vivre en homme, aussi bien que représentèr en monarque sur le théatre du monde.

Sa lettre à l'archévêque de rheims au sujet du marquis de barbésieux, quoiqu'écrite d'un stile extrémement négligé, fait plus d'honneur à son caractére, que les pensées les plus ingénieuses n'en auraient fait à son esprit. il avait donné à ce jeune homme la place de secretaire d'état de la guerre, qu'avait eû le marquis de louvois son pére. bientôt mécontent de la conduite de son nouveau secretaire d'état, il veut le corriger sans le trop mortifier. dans cette vuë il s'adresse à son oncle l'archévêque de rheims; il le prie d'avertir son neveu. c'est un maître instruit de tout, c'est un pére qui parle.

«Je sai, dit-il, ce que je dois à la mémoire de monsieur de louvois; mais si votre neveu ne change de conduite, je serai forcé de prendre un [p. 102] parti. j'en serai fâché; mais il en faudra prendre un. il a des talens; mais il n'en fait pas un bon usage. il donne trop souvent à souper aux princes, au lieu de travailler; il néglige les affaires pour ses plaisirs; il fait attendre trop long-tems les officiers dans son antichambre; il leur parle avec hauteur, & quelquefois avec dureté.»

Voilà ce que ma mémoire me fournit de cette lettre, que j'ai vuë autrefois en original. elle fait bien voir, que louis XIV n'était pas gouverné par ses ministres comme on l'a cru, & qu'il savait gouverner ses ministres.

Il aimait les louanges; & il est à souhaiter qu'un roi les aime, parce qu'alors il s'efforce de les mériter. mais louis XIV ne les recevait pas toûjours, quand elles étaient trop fortes. lorsque notre académie, qui lui rendait toûjours compte des sujets qu'elle proposait pour ses prix, lui fit voir celui-ci: quelle est de toutes les vertus du roi, celle qui mérite la préférence? le roi rougit, & ne voulut pas qu'un tel sujet fût traité. il souffrit les prologues de quinaut; mais c'était dans les beaux jours de sa gloire, dans le tems où l'ivresse de la nation excusait la sienne. virgile & horace par reconnaissance, & ovide par [p. 103] une indigne faiblesse, prodiguérent à auguste des éloges plus forts, & (si on songe aux proscriptions) bien moins mérités.

Le duc d'antin se distingua dans ce siécle par un art singulier, non pas de dire des choses flatteuses, mais d'en faire, le roi va coucher à petit-bourg; il y critique une grande allée d'arbres, qui cachait la vuë de la riviére. le duc d'antin la fait abattre pendant la nuit. le roi, à son réveil, est étonné de ne plus voir ces arbres qu'il avait condannés. c'est parce que votre majesté les a condannés, qu'elle ne les voit plus, répond le duc.

Nous avons aussi rapporté ailleurs, que le même homme aiant remarqué qu'un bois assez grand au bout du canal de fontainebleau déplaisait au roi, il prit le moment d'une promenade, & tout étant préparé, il se fit donnèr un ordre de couper ce bois, & on le vit dans l'instant abattu tout entier. ces traits sont d'un courtisan ingénieux, & non pas d'un flatteur.

On a accusé louis XIV d'un orgueil insupportable, parce que la base de sa statue à la place des victoires est entourée d'esclaves enchainés. mais ce n'est point lui qui fit ériger cette statue, ni celle qu'on voit à la place de vendôme. celle de la [p. 104] place des victoires est le monument de la grandeur d'ame & de la reconnaissance du premier maréchal de la feuillade pour son maître. il y dépensa cinq-cent-mille livres, qui font près d'un million aujourd'hui; & la ville en ajoûta autant pour rendre la place réguliére. j'ai toûjours été révolté, contre l'injustice qui imputait à louis XIV le faste de cette statuë, & contre l'indifférence qui ne rend pas assez de justice à la magnanimité du maréchal.

On ne parlait que de ces quatre esclaves; mais ils figurent des vices domtés, encor plus que des nations vaincuës; le duël aboli, l'hérésie détruite. les inscriptions le témoignent assez. elles célébrent aussi la jonction des mèrs, la paix de nimégue, & ne parlent que de bienfaits; & aucun de ces esclaves n'a rien qui caractérise les peuples vaincus par louis XIV. d'ailleurs c'est un ancien usage des sculpteurs, de mettre des esclaves aux pieds des statuës des rois. il vaudrait mieux y représenter des citoiens libres & heureux. mais enfin on voit des esclaves aux pieds du clément henri quatre & de louis XIII à paris; on en voit à livourne sous la statuë de ferdinand de médicis, qui n'enchaîna assûrément aucune nation; on en voit à berlin sous la statuë d'un électeur, qui repoussa [p. 105] les suédois, mais qui ne fit point de conquêtes.

Les voisins de la france, & les français eux-mêmes, ont rendu très injustement louis XIV responsable de cet usage. l'inscription, viro immortali, a l'homme immortel, a été traitée d'idolâtrie; comme si ce mot signifiait autre chose, que l'immortalité de sa gloire. l'inscription de viviani, à sa maison de florence,

Aedes à deo datae,
Maison donnée par un dieu,

serait bien plus idolâtre: elle n'est pourtant qu'une allusion, au surnom de dieu-donné, & au vers de virgile, deus nobis haec otia fecit.

A l'égard de la statuë de la place vendôme, c'est la ville qui l'a érigée. le roi avait destiné les bâtimens de cette place, pour sa bibliothéque publique. la place était plus vaste; elle avait d'abord trois faces, qui étaient celles d'un palais immense, dont les murs étaient déja élevés, lorsque le malheur des tems, en 1701, força la ville de bâtir des maisons de particuliers sur les ruines de ce palais commencé. ainsi le louvre n'a point été fini; ainsi la fontaine & l'obélisque, que colbert voulait [p. 106] faire élever vis-à-vis le portail de perrault, n'ont paru que dans les desseins; ainsi le beau portail de saint-gervais est demeuré offusqué; & la pluspart des monumens de paris laissent des regrets.

La nation désirait, que louis XIV eût préféré son louvre & sa capitale au palais de versailles, que le duc de créqui appelait un favori sans mérite. la postérité admire avec reconnaissance, ce qu'on a fait de grand pour le public; mais la critique se joind à l'admiration, quand on voit ce que louis XIV a fait de superbe & de défectueux pour sa maison de campagne.

Il résulte de tout ce qu'on vient de rapporter, que louis XIV aimait en tout la grandeur & la gloire. un prince, qui aiant fait d'aussi grandes choses que lui, serait encor simple & modeste, serait le premier des rois, & louis XIV le second.17

S'il se repentit en mourant, d'avoir entrepris legérement des guerres, il faut convenir, qu'il ne jugeait pas par les événemens; car de toutes ses guerres, la plus juste & la plus indispensable, [p. 107] celle de 1701, fut la seule malheureuse.

Il eut de son mariage, outre monseigneur, deux fils & trois filles morts dans l'enfance. ses amours furent plus heureux: il n'y eut que deux de ses enfans naturels qui moururent au berceau; huit autres vécurent, furent légitimés, & cinq eurent postérité. il eut encor d'une demoiselle attachée à madame de montespan, une fille non reconnuë, qu'il maria à un gentilhomme d'auprès de versailles, nommé de la queuë.

On soupçonna avec beaucoup de vraisemblance, une religieuse de l'abbaïe de moret, d'être sa fille. elle était extrémement basannée, & d'ailleurs lui ressemblait. le roi lui donna vingt-mille écus de dot, en la plaçant dans ce couvent. l'opinion qu'elle avait de sa naissance, lui donnait un orgueil dont ses supérieures se plaignirent. madame de maintenon, dans un voiage de fontainebleau, alla au couvent de moret; & voulant inspirer plus de modestie à cette religieuse, elle fit ce qu'elle put pour lui ôter l'idée qui nourrissait sa fierté. «madame, (lui dit cette personne) la peine que prend une dame de votre élévation, de venir exprès ici me dire que je ne suis pas fille du roi, me [p. 108] persuade que je le suis.» le couvent de moret se souvient encor de cette anecdote.

Tant de détails pourraient rebutér un philosophe. mais la curiosité, cette faiblesse si commune aux hommes, cesse presque d'en être une, quand elle a pour objet des tems & des hommes qui attirent les regards de la postérité.