ISSN 2271-1813

...

   

Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 223] CHAPITRE TRENTE-DEUXIÉME.

Du calvinisme.

Il est affreux sans doute, que l'église chrétienne ait toûjours été déchirée par ses querelles, & que le sang ait coulé pendant tant de siécles par des mains qui portaient le dieu de la paix. cette fureur fut inconnuë au paganisme. il couvrit la terre de ténébres, mais il ne l'arrosa guères que du sang des animaux; & si quelquefois chez les juifs & chez les païens on dévoua des victimes humaines, ces dévoûmens, tout horribles qu'ils étaient, ne causérent point de guerres [p. 224] civiles. la religion des païens ne consistait que dans la morale & dans des fêtes. la morale qui est commune aux hommes de tous les tems & de tous les lieux, & les fêtes qui n'étaient que des réjouissances, ne pouvaient troubler le genre humain.

L'esprit dogmatique apporta chez les hommes la fureur des guerres de religion. j'ai recherché long-tems, comment & pourquoi cet esprit dogmatique, qui divisa les écoles de l'antiquité païenne sans causer le moindre trouble, en a produit parmi nous de si horribles. ce n'est pas le seul fanatisme qui en est cause; car les gymnosophistes & les bramins, les plus fanatiques des hommes, ne firent jamais de mal qu'à eux-mêmes. ne pourrait-on pas trouver peut-être l'origine de cette nouvelle peste qui a ravagé la terre, dans l'esprit républicain qui anima les premiéres églises? les assemblées secrettes, qui bravaient d'abord dans des caves & dans des grottes l'autorité des empereurs romains, formérent peu-à-peu un état dans l'état. c'était une république cachée au milieu de l'empire. constantin la tira de dessous terre, pour la mettre à côté du trône. bientôt l'autorité attachée aux grands siéges se trouva en opposition avec l'esprit populaire, [p. 225] qui avait inspiré jusqu'alors toutes les assemblées des chrétiens. souvent dèsque l'évêque d'une métropole faisait valoir un sentiment, un évêque suffragant, un prêtre, un diacre, en avaient un contraire. les anciennes opinions, renouvelées depuis par luthèr, par zwingle, par calvin, tendaient pour la pluspart à détruire l'autorité épiscopale & même la puissance monarchique. c'est une des principales causes secrettes, qui firent recevoir ces dogmes dans le nord de l'allemagne, où l'on était las de la grandeur des papes, & où l'on craignait d'être asservi par les empereurs. ces opinions triomphérent en suéde & en danemarck, païs où les peuples étaient libres sous des rois.

Les anglais, dans qui la nature a mis l'esprit d'indépendance, les adoptérent, les mitigérent, & en composérent une religion pour eux seuls. elles pénétrérent en pologne, & y firent beaucoup de progrès dans les seules villes où le peuple n'est point esclave. la suisse n'eut pas de peine à les recevoir, parce qu'elle était république. elles furent sur le point d'être établies à venise par la même raison; & elles y eussent pris racine, si venise n'eût pas été voisine de rome, & peut-être si le gouvernement n'eût pas craint la démocratie, qui était le grand but [p. 226] des prédicans. les hollandais ne prirent cette religion, que quand ils secouérent le joug de l'espagne. genéve devint un état populaire, en devenant calviniste. toute la maison d'aûtriche écarta ces sectes de ses états, autant qu'il lui fut possible. elles n'approchérent presque point de l'espagne. on ne les vit point, sous le régne de françois premier & de henri II princes absolus, causer de grands troubles en france. mais, dèsque le gouvernement fut faible & partagé, les querelles de religion furent violentes. les condé & les coligni, devenus calvinistes parce que les guises étaient catholiques, bouleversérent l'état à l'envi. la legéreté & l'impétuosité de la nation, la fureur de la nouveauté & l'enthousiasme, firent pendant quarante ans, du peuple le plus poli, un peuple de barbares.

Henri IV, né dans cette secte qu'il aimait sans être entêté d'aucune, ne put malgré ses victoires & ses vertus, régner sans abandonner le calvinisme: devenu catholique, il ne fut pas assez ingrat pour vouloir détruire un parti naturellement ennemi des rois, mais auquel il devait sa couronne; & s'il avait voulu dissiper cette faction, il ne l'aurait pas pu. il la chérit, la protégea & la réprima.

Les huguenots en france faisaient tout [p. 227] au plus alors la douziéme partie de la nation. il y avait parmi eux des seigneurs puissans: des villes entiéres étaient protestantes. ils avaient fait la guerre aux rois: on avait été contraint de leur donner des places de sûreté: henri III leur en avait accordé quatorze, dans le seul dauphiné; montauban, nîmes, dans le languedoc; saumur, & surtout la rochelle, qui faisait une république à part, & que le commerce & la faveur de l'angleterre pouvaient rendre puissante. enfin, henri IV sembla satisfaire son goût, sa politique & même son devoir, en accordant au parti le célébre édit de nantes en 1598. cet édit n'était au fond que la confirmation des priviléges que les protestans de france avaient obtenus des rois précédens les armes à la main, & que henri le grand affermi sur le trône leur laissa par bonne volonté.

Par cet édit de nantes, que le nom de henri quatre rendit plus célébre que tous les autres, tout seigneur de fiéf haut-justicier pouvait avoir dans son château plein éxercice de la religion prétenduë réformée: tout seigneur sans haute-justice pouvait admettre trente personnes à son prêche. l'entièr éxercice de cette religion était autorisé dans tous les lieux qui ressortissaient immédiatement à un parlement.

[p. 228] Les calvinistes pouvaient faire imprimer, sans s'adressèr aux supérieurs, tous leurs livres, dans toutes les villes où leur religion était permise.

Ils étaient déclarés capables de toutes les charges & dignités de l'état; & il y parut bien en effet, puisque le roi fit ducs & pairs les seigneurs de la trimouille & de rôni.

On créa une chambre exprès au parlement de paris, composée d'un président & de seize conseillers, laquelle jugea tous les procès des huguenots, non seulement dans le district immense du ressort de paris, mais dans celui de normandie & de bretagne. Elle fut nommée la chambre de l'édit. il n'y eut jamais à la vérité qu'un seul calviniste admis parmi les conseillers de cette jurisdiction. cependant, comme elle était destinée à empécher les vexations dont le parti se plaignait, & que les hommes se piquent toûjours de remplir un devoir qui les distingue; cette chambre composée de catholiques rendit toûjours aux huguenots, de leur aveu même, la justice la plus impartiale.

Ils avaient une espéce de petit parlement à castres, indépendant de celui de toulouse. il y eut à grenoble & à bordeaux des chambres mi-parties, catholiques [p. 229] & calvinistes. leurs églises s'assemblaient en synodes, comme l'église gallicane. ces priviléges & beaucoup d'autres incorporérent ainsi les calvinistes au reste de la nation. c'était à la vérité attacher des ennemis ensemble; mais l'autorité, la bonté & l'adresse de ce grand roi, les continrent pendant sa vie.

Après la mort à jamais effraiante & déplorable de henri quatre, dans la faiblesse d'une minorité & sous une cour divisée, il était bien difficile que l'esprit républicain des réformés n'abusât de ses priviléges, & que la cour, toute faible qu'elle était, ne voulût les restraindre. les huguenots avaient déja établi en france des cercles, à l'imitation de l'allemagne. les députés de ces cercles étaient souvent séditieux; & il y avait dans le parti, des seigneurs pleins d'ambition. le duc de bouillon, & surtout le duc de rohan le chef le plus accrédité des huguenots, précipitérent bientôt dans la révolte l'esprit remuant des prédicans, & le zéle aveugle des peuples. l'assemblée générale du parti osa dès 1615, présentèr à la cour un caïer, par lequel, entre autres articles injurieux, elle demandait qu'on réformât le conseil du roi. ils prirent les armes en quelques endroits dès l'an 1616; & l'audace des huguenots [p. 230] se joignant aux divisions de la cour, à la haine contre les favoris, à l'inquiétude de la nation, tout fut long-tems dans le trouble. c'était des séditions, des intrigues, des menaces, des prises d'armes, des paix faites à la hâte & rompuës de même; c'est ce qui faisait dire au célébre cardinal bentivoglio alors nonce en france, qu'il n'y avait vu que des orages.

Dans l'année 1621, les églises calvinistes de france offrirent à lesdiguiéres, cet homme de fortune devenu depuis connétable, le généralat de leurs armées & cent-mille écus par mois. mais lesdiguiéres, plus éclairé dans son ambition qu'eux dans leurs factions, & qui les connaissait pour les avoir commandés, aima mieux alors les combattre que d'être à leur tête; & pour réponse à leurs offres, il se fit catholique. les huguenots s'adressérent ensuite au maréchal duc de bouillon, qui dit qu'il était trop vieux; & enfin ils donnérent cette malheureuse place au duc de rohan, qui conjointement avec son frére soubise, osa faire la guerre au roi de france.

La même année, le connétable de luines mena louis XIII de province en province. il soumit plus de cinquante villes, presque sans résistance; mais il échoua devant [p. 231] montauban; le roi eut l'affront de décamper. on assiégea en vain la rochelle: elle résistait & par elle-même & par les secours de l'angleterre; & le duc de rohan, coupable du crime de léze-majesté, traita de la paix avec son roi, presque de couronne à couronne.

Après cette paix & après la mort du connétable de luines, il falut encor recommencer la guerre & assiéger de nouveau la rochelle, toûjours liguée contre son souverain avec l'anglais & avec les calvinistes du roiaume. une femme (c'était la mére du duc de rohan) défendit cette ville pendant un an, contre l'armée roiale, contre l'activité du cardinal de richelieu, & contre l'intrépidité de louis XIII, qui affronta plus d'une fois la mort à ce siége. la ville souffrit toutes les extrémités de la faim; & on ne dut la reddition de la place, qu'à cette digue de cinq-cent pieds de long, que le cardinal de richelieu fit construire, à l'éxemple de celle qu'aléxandre fit autrefois élever devant tyr. elle fut commencé par un français nommé tiriot, & achevée par pompée targon. elle domta la mèr & les rochelois. le maire guiton, qui voulait s'ensevelir sous les ruïnes de la rochelle, eut l'audace, après s'être rendu à discrétion, de paraître avec ses gardes [p. 232] devant le cardinal de richelieu. les maires des principales villes des huguenots en avaient. on ôta les siens à guiton, & les priviléges à la ville. le duc de rohan, chef des hérétiques rebelles, continuait toûjours la guerre contre son roi; & abandonné des anglais quoique protestans, il se liguait avec les espagnols quoique catholiques. mais la conduite ferme du cardinal de richelieu força les huguenots, battus de tous côtés, à se soûmettre.

Tous les édits, qu'on leur avait accordés jusqu'alors, avaient été des traités avec les rois. richelieu voulut que celui qu'il fit rendre, fût appelé l'édit de grace. le roi y parla en souverain qui pardonne. on ôta l'éxercice de la nouvelle religion, à la rochelle, à l'île de ré, à oleron, à privas, à pamiers; du reste on laissa subsister l'édit de nantes, que les calvinistes regardérent toûjours comme leur loi fondamentale.

Il parait[sic] étrange que le cardinal de richelieu, si absolu & si audacieux, n'abolit pas ce fameux édit; il eut alors une autre vuë, plus difficile peut-être à remplir, mais non moins conforme à l'étenduë de son ambition & à la hauteur de ses pensées. il rechercha la gloire de subjuguer les esprits; il s'en croiait capable [p. 233] par ses lumiéres, par sa puissance & par sa politique. son projet était de gagner des ministres, de leur faire d'abord avouër que le culte catholique n'était pas un crime devant Dieu, de les menèr ensuite par degrez, de leur accorder quelques points peu importans, & de paraître aux yeux de la cour de rome ne leur avoir rien accordé. il comptait éblouïr une partie des réformés, séduire l'autre par les présens & par les graces, & avoir enfin toutes les apparences de les avoir réunis à l'église, laissant au tems à faire le reste, & n'envisageant que la gloire d'avoir ou fait ou préparé ce grand ouvrage, & de passer pour l'avoir fait. le fameux pére joseph d'un côté, & deux ministres gagnés de l'autre, entamérent cette négociation. mais il parut que le cardinal de richelieu avait trop présumé, & qu'il est plus difficile d'accorder des théologiens, que de faire des digues sur l'océan.

Richelieu rebuté se proposa d'écraser les calvinistes. d'autres soins l'en empéchérent. il avait à combattre à la fois les grands du roiaume, la maison roiale, toute la maison d'aûtriche, & souvent louis XIII lui-même. il mourut enfin au milieu de tous ces orages, d'une mort prématurée. il laissa tous ses desseins encor [p. 234] imparfaits, & un nom plus éclatant que chèr & vénérable.

Cependant, après la prise de la rochelle & l'édit de grace, les guerres cessérent; & il n'y eut plus que des disputes. on imprimait de part & d'autre de ces gros livres qu'on ne lit plus. le clergé & surtout les jésuites cherchaient à convertir des huguenots. les ministres tâchaient d'attirer quelques catholiques à leurs opinions. le conseil du roi était occupé à rendre des arrêts, pour un cimetiére que les deux religions se disputaient dans un village, pour un temple bâti sur un fonds appartenant autrefois à l'église, pour des écoles, pour des droits de châteaux, pour des enterremens, pour des cloches; & rarement les réformés gagnaient leurs procès. il n'y eut plus, après tant de dévastations & de saccagemens, que ces petites épines. les huguenots n'eurent plus de chef, depuis que le duc de rohan cessa de l'être, & que la maison de bouillon n'eut plus sedan. ils se firent même un mérite de rester tranquiles, au milieu des factions de la fronde & des guerres civiles, que des princes, des parlemens & des évêques excitérent, lorsqu'ils prétendirent servir le roi contre le cardinal mazarin.

Il ne fut presque point question de religion [p. 235] pendant la vie de ce ministre. il ne fit nulle difficulté de donner la place de contrôleur-général des finances à un huguenot de race anglaise, nommé hervard. tous les huguenots entrérent dans les fermes, dans les sous-fermes, dans toutes les places qui en dépendent.

Colbert, qui ranima l'industrie de la nation & qu'on peut regarder comme le fondateur du commerce, emploia beaucoup de huguenots dans les arts, dans les manufactures, dans la marine. tous ces objets utiles, qui les occupaient, adoucirent peu-à-peu dans eux la fureur épidémique de la controverse; & la gloire qui environna cinquante ans louis XIV, sa puissance, son gouvernement ferme & vigoureux, ôtérent au parti calviniste, comme à tous les ordres de l'état, toute idée de résistance. les fêtes magnifiques d'une cour galante jettaient même du ridicule sur le pédantisme des huguenots. à mesure que le bon goût se perfectionnait, les pseaumes de marot & de béze ne pouvaient plus insensiblement inspirer que du dégoût. ces pseaumes, qui avaient charmé la cour de françois second, n'étaient plus faits que pour la populace sous louis XIV. la saine philosophie, qui commença vers le milieu de ce siécle à percèr un peu dans le monde, [p. 236] devait encor dégoutèr à la longue les honnêtes-gens des disputes de controverse.

Mais, en attendant que la raison se fît peu-à-peu écouter des hommes, l'esprit même de dispute pouvait servir à entretenir la tranquilité de l'état. car les jansénistes commençant alors à paraître avec quelque réputation, ils partageaient les suffrages de ceux qui se nourrissent de ces subtilités: ils écrivaient à la fois contre les jésuites & contre les huguenots: ceux-ci répondaient aux jansénistes & aux jésuites: les luthériens de la province d'alsace écrivaient contre eux-tous. une guerre de plume entre tant de partis, pendant que l'état était occupé de grandes choses & que le gouvernement était tout-puissant, ne pouvait devenir en peu d'années qu'une occupation de gens oisifs, qui dégénére tôt ou tard en indifférence.

Louis XIV était animé contre les religionaires, par les remontrances continuelles de son clergé, par les insinuations des jésuites, par la cour de rome, & enfin par le chancelier le tellier & louvois son fils, tous deux ennemis de colbert, & qui voulaient perdre les réformés comme rebelles, parce que colbert les protégeait comme des sujets utiles. louis [p. 237] XIV, nullement instruit d'ailleurs du fond de leur doctrine, les regardait, non sans quelque raison, comme d'anciens révoltés soûmis avec peine. il s'appliqua d'abord à miner par degrez de tous côtés l'édifice de leur religion: on leur ôtait un temple sur le moindre prétexte: on leur défendit d'épouser des filles catholiques; & en cela on ne fut pas peut-être assez politique: c'était ignorer le pouvoir d'un sexe, que la cour pourtant connaissait si bien. les intendans & les évêques tâchaient, par les moiens les plus plausibles, d'enlevèr aux huguenots leurs enfans. colbert eut ordre en 1681, de ne plus recevoir aucun homme de cette religion dans les fermes. on les exclut, autant qu'on le put, des communautés des arts & des métiers. le roi en les tenant ainsi sous le joug, ne l'appesantissait pas toûjours. on défendit par des arrêts toute violence contre eux. on méla les insinuations aux sévérités; & il n'y eut alors de rigueur, qu'avec les formes de la justice.

On emploia surtout un moien assez efficace de conversion: ce fut l'argent. mais on ne fit pas assez d'usage de ce ressort. pélisson fut chargé de ce ministére secret. c'est ce même pélisson long-tems calviniste, si connu par ses ouvrages, [p. 238] par une éloquence pleine d'abondance, par son attachement au surintendant fouquet, dont il avait été le premier commis, le favori & la victime. il eut le bonheur d'être éclairé & de changer de religion, dans un tems où ce changement pouvait le menèr aux dignités & à la fortune. il prit l'habit ecclésiastique, obtint des bénéfices, & une place de maître des requêtes. le roi lui confia le revenu des abbaïes de saint-germain des prez & de cluni vers l'année 1677, avec les revenus du tièrs des œconomats, pour être distribués à ceux qui voudraient se convertir. le cardinal le camus, évêque de grenoble, s'était déja servi de cette méthode. pélisson, chargé de ce département, envoiait l'argent dans les provinces. on tâchait d'opérer beaucoup de conversions pour peu d'argent. de petites sommes, distribuées à des indigens, enflaient la liste que pélisson présentait au roi tous les trois mois, en lui persuadant que tout cédait dans le monde à sa puissance ou à ses bienfaits.

Le conseil, encouragé par ces petits succès que le tems eut rendus plus considérables, s'enhardit en 1681 à donnèr une déclaration, par laquelle les enfans étaient reçus à renoncèr à leur religion à l'âge de sept ans; & à l'appui de cette [p. 239] déclaration, on prit dans les provinces beaucoup d'enfans pour les faire abjurer, & on logea des gens de guerre chez les parens.

Ce fut cette précipitation du chancelier le tellier & de louvois son fils, qui fit d'abord désertèr en 1681 beaucoup de familles du poitou, de la saintonge & des provinces voisines. les étrangers se hâtérent d'en profiter.

Les rois d'angleterre & de danemarck, & surtout la ville d'amsterdam, invitérent les calvinistes de france à se réfugier dans leurs états, & leur assûrérent une subsistance. amsterdam s'engagea même à bâtir mille maisons pour les fugitifs.

Le conseil vit les suites dangereuses de l'usage trop promt de l'autorité, & crut y remédier par l'autorité même. on sentait combien nécessaires étaient les artisans dans un païs où le commerce fleurissait, & les gens de mèr dans un tems où l'on établissait une puissante marine. on ordonna la peine des galéres contre ceux de ces professions, qui tenteraient de s'échaper.

On remarqua, que plusieurs familles calvinistes vendaient leurs immeubles. aussitôt parut une déclaration, qui confisqua tous ces immeubles, en cas que les [p. 240] vendeurs sortissent dans un an du roiaume. alors la sévérité redoubla contre les ministres. on interdisait leurs temples sur la plus legére contravention. toutes les rentes, laissées par testament aux consistoires, furent appliquées aux hôpitaux du roiaume.

On défendit aux maîtres d'écoles calvinistes, de recevoir des pensionnaires. on mit les ministres à la taille. on ôta la noblesse aux maires protestans. les officiers de la maison du roi, les secretaires du roi, qui étaient protestans, eurent ordre de se défaire de leurs charges. on n'admit plus ceux de cette religion, ni parmi les notaires, ni parmi les procureurs & les avocats.

Il était enjoint à tout le clergé de faire des prosélites; & il était défendu aux ministres d'en faire, sous peine de bannissement perpétuel. tous ces arrêts étaient publiquement sollicités par le clergé de france. c'était après tout les enfans de la maison, qui ne voulaient point de partage avec des étrangers introduits par force.

Pélisson continuait d'acheter des convertis; mais madame hervard veuve du contrôleur-général des finances, animée de ce zéle de religion qu'on a remarqué de tout tems dans les femmes, envoiait [p. 241] autant d'argent pour empécher les conversions, que pellisson[sic] pour en faire.

Enfin les huguenots osérent désobéir en quelques endroits. ils s'assemblérent dans le vivarès & dans le dauphiné, près des lieux où l'on avait démoli leurs temples. on les attaqua; ils se défendirent. ce n'était qu'une très legére étincelle du feu des anciennes guerres civiles. deux ou trois-cent malheureux, sans chef, sans places & même sans desseins, furent dispersés en un quart d'heure. les supplices suivirent leur défaite. l'intendant du dauphiné fit rouër le petit-fils du ministre chamier qui avait dressé l'édit de nantes. il est au rang des plus fameux martyrs de la secte; & ce nom de chamier a été longtems en vénération chez les protestans.

L'intendant bâville, en languedoc fit rouër vif le ministre chomel. on condanna trois autres au même supplice, & dix à être pendus: la fuite qu'ils avaient prise les sauva; & ils ne furent éxécutés qu'en effigie.

Tout cela inspirait la terreur, & en même tems augmentait l'opiniâtreté. on sait trop, que les hommes s'attachent à leur religion à mesure qu'ils souffrent pour elle.

Ce fut alors qu'on persuada au roi, [p. 242] qu'après avoir envoié des missionnaires dans toutes les provinces, il falait y envoier des dragons. ces violences parurent faites à contretems; elles étaient les suites de l'esprit qui régnait alors à la cour, que tout devait fléchir au nom de louis XIV. on ne songeait pas, que les huguenots n'étaient plus ceux de jarnac, de moncontour & de coutras; que la rage des guerres civiles était éteinte; que cette longue maladie était dégénérée en langueur; que tout n'a qu'un tems chez les hommes; que si les péres avaient été rebelles sous louis XIII, les enfans étaient soûmis sous louis XIV. on voiait en angleterre, en hollande, en allemagne, plusieurs sectes, qui s'étaient mutuellement égorgées le siécle passé, vivre maintenant en paix dans les mêmes villes. tout prouvait, qu'un roi absolu pouvait être également bien servi par des catholiques & par des protestans. les luthériens d'alsace en étaient un témoignage autentique.

Louis XIV, qui en se saisissant de strasbourg en 1681 y protégeait le luthéranisme, pouvait tolérer dans ses états le calvinisme que le tems aurait aboli, comme il diminuë chaque jour le nombre des luthériens en alsace. pouvait-on imaginer, qu'en forçant un grand nombre de [p. 243] sujets on n'en perdrait pas davantage, qui malgré les édits & malgré les gardes, échaperaient par la fuite à une violence qu'ils appellaient une horrible persécution? pourquoi enfin vouloir faire haïr à un million d'hommes un nom chèr & précieux, auquel & protestans & catholiques & français & étrangers avaient alors joint celui de grand? la politique même semblait pouvoir engagèr à conserver les calvinistes, pour les opposèr aux prétentions continuelles de la cour de rome. c'était en ce tems-là même, que le roi avait ouvertement rompu avec innocent XI, ennemi de la france. mais louis XIV, conciliant les intérêts de sa religion & ceux de sa grandeur, voulut à la fois humilier le pape d'une main, & écraser le calvinisme de l'autre.

Il envisageait dans ces deux entreprises cet éclat de gloire, dont il était idolâtre en toutes choses. les évêques, plusieurs intendans, tout le conseil, lui persuadérent que ses soldats, en se montrant seulement, acheveraient ce que ses bienfaits & les missions avaient commencé. il crut n'user que d'autorité; mais ceux à qui cette autorité fut commise, usérent d'une extréme rigueur.

Vers la fin de 1684 & au commencement de 1685, tandis que louis XIV, [p. 244] toûjours puissamment armé, ne craignait aucun de ses voisins, les troupes furent envoiées dans toutes les villes & dans tous les châteaux, où il y avait le plus de protestans; & comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce tems-là, furent ceux qui commirent le plus d'excès, on appela cette éxécution la dragonade.

Les frontiéres étaient aussi soigneusement gardées qu'on le pouvait, pour prévenir la fuite de ceux qu'on voulait réunir à l'église. c'était une espéce de chasse qu'on faisait dans une grande enceinte.

Un évêque, un intendant, ou un subdélegué, ou un curé, ou quelqu'un d'autorisé, marchait à la tête des soldats. on assemblait les principales familles calvinistes, surtout celles qu'on croiait les plus faciles. elles renonçaient à leur religion au nom des autres: & les obstinés étaient livrés aux soldats, qui eurent toute licence excepté celle de tuer. il y eut pourtant plusieurs personnes si cruellement maltraitées, qu'elles en moururent. les enfans des réfugiés dans les païs étrangers jettent encor des cris sur cette persécution de leurs péres. ils la comparent aux plus violentes, que souffrit l'église dans les premiers tems.

C'était un étrange contraste, que du [p. 245] sein d'une cour voluptueuse où régnaient la douceur des mœurs, les graces, les charmes de la société, il partît des ordres si durs & si impitoiables. le marquis de louvois porta dans cette affaire l'infléxibilité de son caractére; & on y reconnut le même génie, qui avait voulu ensevelir la hollande sous les eaux, & qui depuis mit le palatinat en cendres. il y a encor des lettres de sa main de cette année 1685, conçuës en ces termes: «sa majesté veut, qu'on fasse éprouver les derniéres rigueurs à ceux qui ne voudront pas se faire de sa religion; & ceux qui auront la sotte gloire de vouloir demeurer les derniers, doivent être poussés jusqu'à la derniére extrémité.»

Paris ne fut point exposé à ces vexations: les cris se seraient fait entendre de trop près au trône.

Tandis qu'on faisait ainsi tomber partout les temples, & qu'on demandait dans les provinces des abjurations à main armée, l'édit de nantes fut enfin cassé au mois d'octobre 1685; & on acheva de ruiner l'édifice, qui était déja miné de toutes parts.

La chambre de l'édit avait déja été supprimée. il fut ordonné aux conseillers calvinistes du parlement, de se défaire de [p. 246] leurs charges. une foule d'arrêts du conseil parut coup sur coup, pour extirper les restes de la religion proscrite. celui qui paraissait le plus fatal, fut l'ordre d'arracher les enfans aux prétendus réformés, pour les remettre entre les mains des plus proches parens catholiques; ordre, contre lequel la nature réclamait à si haute voix, qu'il ne fut pas éxécuté.

Mais dans ce célébre édit qui revoqua celui de nantes, il paraît qu'on prépara un événement tout contraire au but qu'on s'était proposé. on voulait la réunion des calvinistes à l'église, dans le roiaume. gourville homme très judicieux, consulté par louvois, lui avait proposé, comme on sait, de faire enfermer tous les ministres, & de ne relâcher que ceux qui gagnés par des pensions secrettes, abjureraient en public, & serviraient à la réunion plus que des missionnaires & des soldats. au lieu de suivre cet avis politique, il fut ordonné par l'édit à tous les ministres qui ne voulaient pas se convertir, de sortir du roiaume dans quinze jours. c'était s'aveugler, que de penser qu'en chassant les pasteurs une grande partie du troupeau ne suivrait pas. c'était bien présumer de sa puissance & mal connaître les hommes, de croire que tant de cœurs ulcérés & tant d'imaginations échauffées [p. 247] par l'idée du martyre, surtout dans les païs méridionaux de la france, ne s'exposeraient pas à tout, pour aller chez les étrangers publier leur constance & la gloire de leur éxil, parmi tant de nations envieuses de louis XIV, qui tendaient les bras à ces troupes fugitives.

Le vieux chancelier le tellier, en signant l'édit, s'écria plein de joie: nunc dimittis servum tuum, domine, quia viderunt oculi mei salutare tuum. il ne savait pas qu'il signait un des grands malheurs de la france.

Louvois son fils se trompait encore, en croiant qu'il suffirait d'un ordre de sa main pour garder toutes les frontiéres & toutes les côtes, contre ceux qui se faisaient un devoir de la fuite. l'industrie occupée à tromper la loi, est toûjours plus forte que l'autorité. il suffisait de quelques gardes gagnés, pour favoriser la foule des réfugiés. prés de cinquante-mille familles en trois ans de tems sortirent du roiaume, & furent après suivies par d'autres. elles allérent porter chez les étrangers les arts, les manufactures, la richesse. presque tout le nord de l'allemagne, païs encor agreste & dénué d'industrie, reçut une nouvelle face de ces multitudes transplantées. elles peuplérent des villes entiéres. les étoffes, [p. 248] les galons, les chapeaux, les bas, qu'on achetait auparavant de la france, furent fabriqués par eux. un faubourg entier de londres fut peuplé d'ouvriers français en soie; d'autres y portérent l'art de donner la perfection aux cristaux, qui fut alors perdu en france. on trouve encor très communément dans l'allemagne l'or que les réfugiés y répandirent. ainsi la france perdit environ cinq-cent-mille habitans, une quantité prodigieuse d'espéces, & surtout des arts dont ses ennemis s'enrichirent. la hollande y gagna d'excellens officiers & des soldats. le prince d'orange eut des régimens entiers de réfugiés. il y en eut qui s'établirent jusques vers le cap de bonne-espérance. le neveu du célébre du quêne, lieutenant-général de la marine, fonda une colonie à cette extrémité de la terre.

Ce fut en vain qu'on remplit les prisons & les galéres de ceux qu'on arréta dans leur fuite. que faire de tant de malheureux, affermis dans leur créance par les tourmens? comment laissèr aux galéres des gens de loi, des vieillards infirmes? on en fit embarquer quelques centaines pour l'amérique. enfin le conseil imagina, que quand la sortie du roiaume ne serait plus défenduë, les esprits n'étant plus animés par le plaisir secret de [p. 249] désobéir, il y aurait moins de désertions. on se trompa encor; & après avoir ouvert les passages, on les referma inutilement une seconde fois.

Tous les temples détruits, tous les ministres bannis, il s'agissait de retenir dans la communion romaine tous ceux qui avaient changé par persuasion ou par crainte. il en restait près de quatre-cent-mille dans le roiaume. ils étaient obligés d'allèr à la messe & de communier. quelques-uns, qui rejettérent l'hostie après l'avoir reçuë, furent condannés à être brûlés vifs. les corps de ceux qui ne voulaient pas recevoir les sacremens à la mort, étaient traînés sur la claie & jettés à la voirie.

Toute persécution fait des prosélites, quand elle frape pendant la chaleur de l'enthousiasme. les calvinistes s'assemblérent partout pour chanter leurs pseaumes, malgré la peine de mort décernée contre ceux qui tiendraient les assemblées. il y avait aussi peine de mort contre les ministres qui rentreraient dans le roiaume, & cinq-mille-cinq-cent livres de récompense pour qui les dénoncerait. il en revint plusieurs, qu'on fit périr par la corde ou par la rouë.

La secte subsista en paraissant écrasée. elle espéra en vain dans la guerre de [p. 250] 1689, que le roi guillaume, qui avait détrôné son beau-pére catholique, soûtiendrait en france le calvinisme. mais dans la guerre de 1701 la rébellion & le fanatisme éclatérent en languedoc.

Il y avait déja long-tems, que dans les montagnes des cévennes & du vivarès il s'élevait des inspirés & des prophétes. un vieil huguenot, nommé de serres, avait tenu école de prophétie. il montrait aux enfans les paroles de l'écriture, qui disent: «quand trois ou quatre sont assemblés en mon nom, mon esprit est parmi eux; & avec un grain de foi on transportera des montagnes.» ensuite il recevait l'esprit: il était hors de lui-même: il avait des convulsions: il changeait de voix: il restait immobile, égaré, les cheveux hérissés, selon l'ancien usage de toutes les nations, & selon ces régles de démence transmises de siécle en siécle. les enfans recevaient ainsi le don de prophétie; & s'ils ne transportaient pas des montagnes, c'est qu'ils avaient assez de foi pour recevoir l'esprit, & pas assez pour faire des miracles: ainsi ils redoublaient de ferveur pour obtenir ce dernier don.

Tandis que les cévennes étaient ainsi l'école de l'enthousiasme, des ministres qu'on appelait apôtres, revenaient en secret précher les peuples.

[p. 251] Claude brousson d'une famille de nîmes considérée, homme éloquent & plein de zéle, très estimé chez les étrangers, retourne précher dans sa patrie en 1698: il y est convaincu, non seulement d'avoir rempli son ministére malgré les édits, mais d'avoir eû dix ans auparavant des intelligences avec les ennemis de l'état. l'intendant bâville le condanne à la rouë. il meurt comme mouraient les premiers martyrs. toute la secte, tous les étrangers, oublient qu'il a été criminel d'état, & ne voïent en lui qu'un saint, qui a scélé sa foi de son sang.

Alors les prophétes se multiplient, & l'esprit de fureur redouble. il arrive malheureusement, qu'en 1703 un abbé de la maison du chailat, inspecteur des missions, obtient un ordre de la cour, de faire enfermer dans un couvent deux filles d'un gentil-homme, nouveau converti. au lieu de les conduire au couvent, il les méne d'abord dans son château. les calvinistes s'attroupent: on enfonce les portes: on délivre les deux filles & quelques autres prisonniers. les séditieux saisissent l'abbé du chailat; ils lui offrent la vie, s'il veut être de leur religion. il la refuse. un prophéte lui crie: meurs donc, l'esprit te condanne, ton péché est contre toi: & il est tué à coups de fusil. aussitôt [p. 252] après ils saisissent les receveurs de la capitation, & les pendent avec leurs rôles au cou. de-là ils se jettent sur les prêtres qu'ils rencontrent & les massacrent. on les poursuit: ils se retirent au milieu des bois & des rochers. leur nombre s'accroît. leurs prophétes & leurs prophétesses leur annoncent de la part de Dieu le rétablissement de jérusalem & la chûte de babylone. un abbé de la bourlie paraît tout à coup au milieu d'eux dans leurs retraites sauvages, & leur apporte de l'argent & des armes.

C'était le fils du marquis de guiscard sous-gouverneur du roi, l'un des plus sages hommes du roiaume. le fils était bien indigne d'un tel pére. réfugié en hollande pour un crime, il va exciter les cévennes à la révolte. on le vit quelque-tems après passèr à londres, où il fut arrété pour avoir trahi le ministére anglais, après avoir trahi son païs. amené devant le conseil, il prit sur la table un de ces longs canifs, avec lesquels on peut commettre un meurtre; il en frapa le grand trésorier harlay, & on le conduisit en prison chargé de fèrs. il prévint son supplice en se donnant la mort lui-même. ce fut donc cet homme, qui au nom des anglais, des hollandais & du duc de savoie, vint encourager les fanatiques, [p. 253] & leur promettre de puissans secours.

Une grande partie du païs les favorisait secrettement. leur cri de guerre était: point d'impôts & liberté de conscience. ce cri séduit partout la populace. ces fureurs justifiaient le dessein, qu'avait eû louis XIV, d'extirper le calvinisme. mais sans la révocation de l'édit de nantes, on n'aurait pas eû à combattre ces fureurs.

Le roi envoie d'abord le maréchal de mont-revel avec quelques troupes. il fit la guerre à ces misérables comme ils méritaient qu'on la leur fît. on rouë, on brûle les prisonniers. mais aussi les soldats, qui tombent entre les mains des révoltés, périssent par des morts cruelles. le roi, obligé de soûtenir la guerre partout, ne pouvait envoier contre eux que peu de troupes. il était difficile de les surprendre, dans des rochers presque inaccessibles alors, dans des cavernes, dans des bois où ils se rendaient par des chemins non fraiés, & dont ils descendaient tout à coup comme des bêtes féroces. ils défirent même dans un combat réglé le régiment de la marine. on emploia contre eux successivement trois maréchaux de france. au maréchal de mont-revel succéda en 1704 le maréchal de villars.

[p. 254] Comme il lui était plus difficile encor de les trouver que de les battre, le maréchal de villars, après s'être fait craindre, leur fit proposèr une amnistie. quelques-uns d'entre eux y consentirent, détrompés des promesses d'être secourus par la savoie.

Le plus accrédité de leurs chefs & le seul qui mérite d'être nommé, était cavalier. je l'ai vu depuis en hollande & en angleterre. c'était un petit homme blond, d'une physionomie douce & agréable. on l'appelait david dans son parti. de garçon boulanger, il était devenu chef d'une assez grande multitude, à l'âge de vingt-trois ans, par son courage & à l'aide d'une prophétesse qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du saint-esprit. on le trouva à la tête de huit-cent hommes qu'il enrégimentait, quand on lui proposa l'amnistie. il demanda des ôtages: on lui en donna. il vint suivi d'un des chefs à nîmes, où il traita avec le maréchal de villars.

Il promit de former quatre régimens des révoltés, qui serviraient le roi sous quatre colonels, dont il serait le premier & dont il nomma les trois autres. ces régimens devaient avoir l'éxercice libre de leur religion, comme les troupes étrangéres à la solde de france. mais cet [p. 255] éxercice ne devait point être permis ailleurs.

On acceptait ces conditions, quand des émissaires de hollande vinrent en empécher l'effet avec de l'argent & des promesses. ils détachérent de cavalier les principaux fanatiques. mais aiant donné sa parole au maréchal de villars, il la voulut tenir. il accepta le brévet de colonel, & commença à former son régiment avec cent-trente hommes qui lui étaient affectionnés.

J'ai entendu souvent de la bouche du maréchal de villars, qu'il avait demandé à ce jeune homme, comment il pouvait à son âge avoir eû tant d'autorité sur des hommes si féroces & si indisciplinables. il répondit, que quand on lui désobéissait, sa prophétesse, qu'on appelait la grande-marie, était sur le champ inspirée, & condannait à mort les réfractaires qu'on tuait sans raisonner.20 aiant fait depuis la même question à cavalier, j'en eus la même réponse.

[p. 256] Cette négociation singuliére se faisait après la bataille d'hochstet. louis XIV, qui avait proscrit le calvinisme avec tant de hauteur, fit la paix, sous le nom d'amnistie, avec un garçon boulanger; & le maréchal de villars lui présenta le brévet de colonel & celui d'une pension de douze-cent livres.

Le nouveau colonel alla à versailles, il y reçut les ordres du ministre de la guerre. le roi le vit, & haussa les épaules. cavalier, observé par le ministére, craignit & se retira en piémont. de-là il passa en hollande & en angleterre. il fit la guerre en espagne, & y commanda un régiment. il est mort officier général & gouverneur de l'île de garnezay, avec une grande réputation de valeur, n'aiant de ses premiéres fureurs conservé que le courage, & aiant peu-à-peu substitué la prudence à un fanatisme qui n'était plus soûtenu par l'éxemple.

Le maréchal de villars, rappelé du languedoc, fut remplacé par le maréchal de barvick. les malheurs des armes du roi enhardissaient alors les fanatiques du languedoc, qui espéraient les secours du ciel & en recevaient des alliés. on leur faisait toucher de l'argent par la voie de genéve. ils attendaient des officiers, qui devaient leur être envoiés de hollande & [p. 257] d'angleterre. ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

On peut mettre au rang des plus grandes conspirations, celle qu'ils formérent, de saisir dans nîmes le duc de barvick & l'intendant bâville, de faire révolter le languedoc & le dauphiné, & d'y introduire les ennemis. le secret fut gardé par plus de mille conjurés. l'indiscrétion d'un seul fit tout découvrir. plus de deux-cent personnes périrent dans les supplices. le maréchal de barvick fit exterminer par le fèr & par le feu tout ce qu'on rencontra de ces malheureux. les uns moururent les armes à la main; les autres sur les rouës ou dans les flammes. quelques-uns, plus adonnés à la prophétie qu'aux armes, trouvérent moien d'allèr en hollande. les réfugiés français les y reçurent comme des envoiés célestes. ils allérent au-devant d'eux, chantant des pseaumes & jonchant leur chemin de branches d'arbres. ces prophétes allérent ensuite en angleterre. mais trouvant que l'église épiscopale tenait trop de l'église romaine, ils voulurent faire dominer la leur. leur persuasion était si pleine, que ne doutant pas qu'avec beaucoup de foi on ne fît beaucoup de miracles, ils offrirent de ressuscitèr un mort, & même tel mort que l'on voudrait choisir. partout le peuple [p. 258] est peuple; & les presbytériens pouvaient se joindre à ces fanatiques contre le clergé anglican. le ministére anglais prit le parti qu'on aurait dû toûjours prendre avec les hommes à miracles. on leur permit de déterrèr un mort dans le cimetiére de l'église cathédrale. la place fut entourée de gardes. tout se passa juridiquement. la scéne finit par mettre au pilori les prophétes.

Cependant en france, le tems, la prudence du gouvernement, & les progrès de la raison ont rendu les calvinistes tranquiles: leur nombre est diminué avec l'enthousiasme.

[p. 223] CHAPITRE TRENTE-DEUXIÉME.

Du calvinisme.

Il est affreux sans doute, que l'église chrétienne ait toûjours été déchirée par ses querelles, & que le sang ait coulé pendant tant de siécles par des mains qui portaient le dieu de la paix. cette fureur fut inconnuë au paganisme. il couvrit la terre de ténébres, mais il ne l'arrosa guères que du sang des animaux; & si quelquefois chez les juifs & chez les païens on dévoua des victimes humaines, ces dévoûmens, tout horribles qu'ils étaient, ne causérent point de guerres [p. 224] civiles. la religion des païens ne consistait que dans la morale & dans des fêtes. la morale qui est commune aux hommes de tous les tems & de tous les lieux, & les fêtes qui n'étaient que des réjouissances, ne pouvaient troubler le genre humain.

L'esprit dogmatique apporta chez les hommes la fureur des guerres de religion. j'ai recherché long-tems, comment & pourquoi cet esprit dogmatique, qui divisa les écoles de l'antiquité païenne sans causer le moindre trouble, en a produit parmi nous de si horribles. ce n'est pas le seul fanatisme qui en est cause; car les gymnosophistes & les bramins, les plus fanatiques des hommes, ne firent jamais de mal qu'à eux-mêmes. ne pourrait-on pas trouver peut-être l'origine de cette nouvelle peste qui a ravagé la terre, dans l'esprit républicain qui anima les premiéres églises? les assemblées secrettes, qui bravaient d'abord dans des caves & dans des grottes l'autorité des empereurs romains, formérent peu-à-peu un état dans l'état. c'était une république cachée au milieu de l'empire. constantin la tira de dessous terre, pour la mettre à côté du trône. bientôt l'autorité attachée aux grands siéges se trouva en opposition avec l'esprit populaire, [p. 225] qui avait inspiré jusqu'alors toutes les assemblées des chrétiens. souvent dèsque l'évêque d'une métropole faisait valoir un sentiment, un évêque suffragant, un prêtre, un diacre, en avaient un contraire. les anciennes opinions, renouvelées depuis par luthèr, par zwingle, par calvin, tendaient pour la pluspart à détruire l'autorité épiscopale & même la puissance monarchique. c'est une des principales causes secrettes, qui firent recevoir ces dogmes dans le nord de l'allemagne, où l'on était las de la grandeur des papes, & où l'on craignait d'être asservi par les empereurs. ces opinions triomphérent en suéde & en danemarck, païs où les peuples étaient libres sous des rois.

Les anglais, dans qui la nature a mis l'esprit d'indépendance, les adoptérent, les mitigérent, & en composérent une religion pour eux seuls. elles pénétrérent en pologne, & y firent beaucoup de progrès dans les seules villes où le peuple n'est point esclave. la suisse n'eut pas de peine à les recevoir, parce qu'elle était république. elles furent sur le point d'être établies à venise par la même raison; & elles y eussent pris racine, si venise n'eût pas été voisine de rome, & peut-être si le gouvernement n'eût pas craint la démocratie, qui était le grand but [p. 226] des prédicans. les hollandais ne prirent cette religion, que quand ils secouérent le joug de l'espagne. genéve devint un état populaire, en devenant calviniste. toute la maison d'aûtriche écarta ces sectes de ses états, autant qu'il lui fut possible. elles n'approchérent presque point de l'espagne. on ne les vit point, sous le régne de françois premier & de henri II princes absolus, causer de grands troubles en france. mais, dèsque le gouvernement fut faible & partagé, les querelles de religion furent violentes. les condé & les coligni, devenus calvinistes parce que les guises étaient catholiques, bouleversérent l'état à l'envi. la legéreté & l'impétuosité de la nation, la fureur de la nouveauté & l'enthousiasme, firent pendant quarante ans, du peuple le plus poli, un peuple de barbares.

Henri IV, né dans cette secte qu'il aimait sans être entêté d'aucune, ne put malgré ses victoires & ses vertus, régner sans abandonner le calvinisme: devenu catholique, il ne fut pas assez ingrat pour vouloir détruire un parti naturellement ennemi des rois, mais auquel il devait sa couronne; & s'il avait voulu dissiper cette faction, il ne l'aurait pas pu. il la chérit, la protégea & la réprima.

Les huguenots en france faisaient tout [p. 227] au plus alors la douziéme partie de la nation. il y avait parmi eux des seigneurs puissans: des villes entiéres étaient protestantes. ils avaient fait la guerre aux rois: on avait été contraint de leur donner des places de sûreté: henri III leur en avait accordé quatorze, dans le seul dauphiné; montauban, nîmes, dans le languedoc; saumur, & surtout la rochelle, qui faisait une république à part, & que le commerce & la faveur de l'angleterre pouvaient rendre puissante. enfin, henri IV sembla satisfaire son goût, sa politique & même son devoir, en accordant au parti le célébre édit de nantes en 1598. cet édit n'était au fond que la confirmation des priviléges que les protestans de france avaient obtenus des rois précédens les armes à la main, & que henri le grand affermi sur le trône leur laissa par bonne volonté.

Par cet édit de nantes, que le nom de henri quatre rendit plus célébre que tous les autres, tout seigneur de fiéf haut-justicier pouvait avoir dans son château plein éxercice de la religion prétenduë réformée: tout seigneur sans haute-justice pouvait admettre trente personnes à son prêche. l'entièr éxercice de cette religion était autorisé dans tous les lieux qui ressortissaient immédiatement à un parlement.

[p. 228] Les calvinistes pouvaient faire imprimer, sans s'adressèr aux supérieurs, tous leurs livres, dans toutes les villes où leur religion était permise.

Ils étaient déclarés capables de toutes les charges & dignités de l'état; & il y parut bien en effet, puisque le roi fit ducs & pairs les seigneurs de la trimouille & de rôni.

On créa une chambre exprès au parlement de paris, composée d'un président & de seize conseillers, laquelle jugea tous les procès des huguenots, non seulement dans le district immense du ressort de paris, mais dans celui de normandie & de bretagne. Elle fut nommée la chambre de l'édit. il n'y eut jamais à la vérité qu'un seul calviniste admis parmi les conseillers de cette jurisdiction. cependant, comme elle était destinée à empécher les vexations dont le parti se plaignait, & que les hommes se piquent toûjours de remplir un devoir qui les distingue; cette chambre composée de catholiques rendit toûjours aux huguenots, de leur aveu même, la justice la plus impartiale.

Ils avaient une espéce de petit parlement à castres, indépendant de celui de toulouse. il y eut à grenoble & à bordeaux des chambres mi-parties, catholiques [p. 229] & calvinistes. leurs églises s'assemblaient en synodes, comme l'église gallicane. ces priviléges & beaucoup d'autres incorporérent ainsi les calvinistes au reste de la nation. c'était à la vérité attacher des ennemis ensemble; mais l'autorité, la bonté & l'adresse de ce grand roi, les continrent pendant sa vie.

Après la mort à jamais effraiante & déplorable de henri quatre, dans la faiblesse d'une minorité & sous une cour divisée, il était bien difficile que l'esprit républicain des réformés n'abusât de ses priviléges, & que la cour, toute faible qu'elle était, ne voulût les restraindre. les huguenots avaient déja établi en france des cercles, à l'imitation de l'allemagne. les députés de ces cercles étaient souvent séditieux; & il y avait dans le parti, des seigneurs pleins d'ambition. le duc de bouillon, & surtout le duc de rohan le chef le plus accrédité des huguenots, précipitérent bientôt dans la révolte l'esprit remuant des prédicans, & le zéle aveugle des peuples. l'assemblée générale du parti osa dès 1615, présentèr à la cour un caïer, par lequel, entre autres articles injurieux, elle demandait qu'on réformât le conseil du roi. ils prirent les armes en quelques endroits dès l'an 1616; & l'audace des huguenots [p. 230] se joignant aux divisions de la cour, à la haine contre les favoris, à l'inquiétude de la nation, tout fut long-tems dans le trouble. c'était des séditions, des intrigues, des menaces, des prises d'armes, des paix faites à la hâte & rompuës de même; c'est ce qui faisait dire au célébre cardinal bentivoglio alors nonce en france, qu'il n'y avait vu que des orages.

Dans l'année 1621, les églises calvinistes de france offrirent à lesdiguiéres, cet homme de fortune devenu depuis connétable, le généralat de leurs armées & cent-mille écus par mois. mais lesdiguiéres, plus éclairé dans son ambition qu'eux dans leurs factions, & qui les connaissait pour les avoir commandés, aima mieux alors les combattre que d'être à leur tête; & pour réponse à leurs offres, il se fit catholique. les huguenots s'adressérent ensuite au maréchal duc de bouillon, qui dit qu'il était trop vieux; & enfin ils donnérent cette malheureuse place au duc de rohan, qui conjointement avec son frére soubise, osa faire la guerre au roi de france.

La même année, le connétable de luines mena louis XIII de province en province. il soumit plus de cinquante villes, presque sans résistance; mais il échoua devant [p. 231] montauban; le roi eut l'affront de décamper. on assiégea en vain la rochelle: elle résistait & par elle-même & par les secours de l'angleterre; & le duc de rohan, coupable du crime de léze-majesté, traita de la paix avec son roi, presque de couronne à couronne.

Après cette paix & après la mort du connétable de luines, il falut encor recommencer la guerre & assiéger de nouveau la rochelle, toûjours liguée contre son souverain avec l'anglais & avec les calvinistes du roiaume. une femme (c'était la mére du duc de rohan) défendit cette ville pendant un an, contre l'armée roiale, contre l'activité du cardinal de richelieu, & contre l'intrépidité de louis XIII, qui affronta plus d'une fois la mort à ce siége. la ville souffrit toutes les extrémités de la faim; & on ne dut la reddition de la place, qu'à cette digue de cinq-cent pieds de long, que le cardinal de richelieu fit construire, à l'éxemple de celle qu'aléxandre fit autrefois élever devant tyr. elle fut commencé par un français nommé tiriot, & achevée par pompée targon. elle domta la mèr & les rochelois. le maire guiton, qui voulait s'ensevelir sous les ruïnes de la rochelle, eut l'audace, après s'être rendu à discrétion, de paraître avec ses gardes [p. 232] devant le cardinal de richelieu. les maires des principales villes des huguenots en avaient. on ôta les siens à guiton, & les priviléges à la ville. le duc de rohan, chef des hérétiques rebelles, continuait toûjours la guerre contre son roi; & abandonné des anglais quoique protestans, il se liguait avec les espagnols quoique catholiques. mais la conduite ferme du cardinal de richelieu força les huguenots, battus de tous côtés, à se soûmettre.

Tous les édits, qu'on leur avait accordés jusqu'alors, avaient été des traités avec les rois. richelieu voulut que celui qu'il fit rendre, fût appelé l'édit de grace. le roi y parla en souverain qui pardonne. on ôta l'éxercice de la nouvelle religion, à la rochelle, à l'île de ré, à oleron, à privas, à pamiers; du reste on laissa subsister l'édit de nantes, que les calvinistes regardérent toûjours comme leur loi fondamentale.

Il parait[sic] étrange que le cardinal de richelieu, si absolu & si audacieux, n'abolit pas ce fameux édit; il eut alors une autre vuë, plus difficile peut-être à remplir, mais non moins conforme à l'étenduë de son ambition & à la hauteur de ses pensées. il rechercha la gloire de subjuguer les esprits; il s'en croiait capable [p. 233] par ses lumiéres, par sa puissance & par sa politique. son projet était de gagner des ministres, de leur faire d'abord avouër que le culte catholique n'était pas un crime devant Dieu, de les menèr ensuite par degrez, de leur accorder quelques points peu importans, & de paraître aux yeux de la cour de rome ne leur avoir rien accordé. il comptait éblouïr une partie des réformés, séduire l'autre par les présens & par les graces, & avoir enfin toutes les apparences de les avoir réunis à l'église, laissant au tems à faire le reste, & n'envisageant que la gloire d'avoir ou fait ou préparé ce grand ouvrage, & de passer pour l'avoir fait. le fameux pére joseph d'un côté, & deux ministres gagnés de l'autre, entamérent cette négociation. mais il parut que le cardinal de richelieu avait trop présumé, & qu'il est plus difficile d'accorder des théologiens, que de faire des digues sur l'océan.

Richelieu rebuté se proposa d'écraser les calvinistes. d'autres soins l'en empéchérent. il avait à combattre à la fois les grands du roiaume, la maison roiale, toute la maison d'aûtriche, & souvent louis XIII lui-même. il mourut enfin au milieu de tous ces orages, d'une mort prématurée. il laissa tous ses desseins encor [p. 234] imparfaits, & un nom plus éclatant que chèr & vénérable.

Cependant, après la prise de la rochelle & l'édit de grace, les guerres cessérent; & il n'y eut plus que des disputes. on imprimait de part & d'autre de ces gros livres qu'on ne lit plus. le clergé & surtout les jésuites cherchaient à convertir des huguenots. les ministres tâchaient d'attirer quelques catholiques à leurs opinions. le conseil du roi était occupé à rendre des arrêts, pour un cimetiére que les deux religions se disputaient dans un village, pour un temple bâti sur un fonds appartenant autrefois à l'église, pour des écoles, pour des droits de châteaux, pour des enterremens, pour des cloches; & rarement les réformés gagnaient leurs procès. il n'y eut plus, après tant de dévastations & de saccagemens, que ces petites épines. les huguenots n'eurent plus de chef, depuis que le duc de rohan cessa de l'être, & que la maison de bouillon n'eut plus sedan. ils se firent même un mérite de rester tranquiles, au milieu des factions de la fronde & des guerres civiles, que des princes, des parlemens & des évêques excitérent, lorsqu'ils prétendirent servir le roi contre le cardinal mazarin.

Il ne fut presque point question de religion [p. 235] pendant la vie de ce ministre. il ne fit nulle difficulté de donner la place de contrôleur-général des finances à un huguenot de race anglaise, nommé hervard. tous les huguenots entrérent dans les fermes, dans les sous-fermes, dans toutes les places qui en dépendent.

Colbert, qui ranima l'industrie de la nation & qu'on peut regarder comme le fondateur du commerce, emploia beaucoup de huguenots dans les arts, dans les manufactures, dans la marine. tous ces objets utiles, qui les occupaient, adoucirent peu-à-peu dans eux la fureur épidémique de la controverse; & la gloire qui environna cinquante ans louis XIV, sa puissance, son gouvernement ferme & vigoureux, ôtérent au parti calviniste, comme à tous les ordres de l'état, toute idée de résistance. les fêtes magnifiques d'une cour galante jettaient même du ridicule sur le pédantisme des huguenots. à mesure que le bon goût se perfectionnait, les pseaumes de marot & de béze ne pouvaient plus insensiblement inspirer que du dégoût. ces pseaumes, qui avaient charmé la cour de françois second, n'étaient plus faits que pour la populace sous louis XIV. la saine philosophie, qui commença vers le milieu de ce siécle à percèr un peu dans le monde, [p. 236] devait encor dégoutèr à la longue les honnêtes-gens des disputes de controverse.

Mais, en attendant que la raison se fît peu-à-peu écouter des hommes, l'esprit même de dispute pouvait servir à entretenir la tranquilité de l'état. car les jansénistes commençant alors à paraître avec quelque réputation, ils partageaient les suffrages de ceux qui se nourrissent de ces subtilités: ils écrivaient à la fois contre les jésuites & contre les huguenots: ceux-ci répondaient aux jansénistes & aux jésuites: les luthériens de la province d'alsace écrivaient contre eux-tous. une guerre de plume entre tant de partis, pendant que l'état était occupé de grandes choses & que le gouvernement était tout-puissant, ne pouvait devenir en peu d'années qu'une occupation de gens oisifs, qui dégénére tôt ou tard en indifférence.

Louis XIV était animé contre les religionaires, par les remontrances continuelles de son clergé, par les insinuations des jésuites, par la cour de rome, & enfin par le chancelier le tellier & louvois son fils, tous deux ennemis de colbert, & qui voulaient perdre les réformés comme rebelles, parce que colbert les protégeait comme des sujets utiles. louis [p. 237] XIV, nullement instruit d'ailleurs du fond de leur doctrine, les regardait, non sans quelque raison, comme d'anciens révoltés soûmis avec peine. il s'appliqua d'abord à miner par degrez de tous côtés l'édifice de leur religion: on leur ôtait un temple sur le moindre prétexte: on leur défendit d'épouser des filles catholiques; & en cela on ne fut pas peut-être assez politique: c'était ignorer le pouvoir d'un sexe, que la cour pourtant connaissait si bien. les intendans & les évêques tâchaient, par les moiens les plus plausibles, d'enlevèr aux huguenots leurs enfans. colbert eut ordre en 1681, de ne plus recevoir aucun homme de cette religion dans les fermes. on les exclut, autant qu'on le put, des communautés des arts & des métiers. le roi en les tenant ainsi sous le joug, ne l'appesantissait pas toûjours. on défendit par des arrêts toute violence contre eux. on méla les insinuations aux sévérités; & il n'y eut alors de rigueur, qu'avec les formes de la justice.

On emploia surtout un moien assez efficace de conversion: ce fut l'argent. mais on ne fit pas assez d'usage de ce ressort. pélisson fut chargé de ce ministére secret. c'est ce même pélisson long-tems calviniste, si connu par ses ouvrages, [p. 238] par une éloquence pleine d'abondance, par son attachement au surintendant fouquet, dont il avait été le premier commis, le favori & la victime. il eut le bonheur d'être éclairé & de changer de religion, dans un tems où ce changement pouvait le menèr aux dignités & à la fortune. il prit l'habit ecclésiastique, obtint des bénéfices, & une place de maître des requêtes. le roi lui confia le revenu des abbaïes de saint-germain des prez & de cluni vers l'année 1677, avec les revenus du tièrs des œconomats, pour être distribués à ceux qui voudraient se convertir. le cardinal le camus, évêque de grenoble, s'était déja servi de cette méthode. pélisson, chargé de ce département, envoiait l'argent dans les provinces. on tâchait d'opérer beaucoup de conversions pour peu d'argent. de petites sommes, distribuées à des indigens, enflaient la liste que pélisson présentait au roi tous les trois mois, en lui persuadant que tout cédait dans le monde à sa puissance ou à ses bienfaits.

Le conseil, encouragé par ces petits succès que le tems eut rendus plus considérables, s'enhardit en 1681 à donnèr une déclaration, par laquelle les enfans étaient reçus à renoncèr à leur religion à l'âge de sept ans; & à l'appui de cette [p. 239] déclaration, on prit dans les provinces beaucoup d'enfans pour les faire abjurer, & on logea des gens de guerre chez les parens.

Ce fut cette précipitation du chancelier le tellier & de louvois son fils, qui fit d'abord désertèr en 1681 beaucoup de familles du poitou, de la saintonge & des provinces voisines. les étrangers se hâtérent d'en profiter.

Les rois d'angleterre & de danemarck, & surtout la ville d'amsterdam, invitérent les calvinistes de france à se réfugier dans leurs états, & leur assûrérent une subsistance. amsterdam s'engagea même à bâtir mille maisons pour les fugitifs.

Le conseil vit les suites dangereuses de l'usage trop promt de l'autorité, & crut y remédier par l'autorité même. on sentait combien nécessaires étaient les artisans dans un païs où le commerce fleurissait, & les gens de mèr dans un tems où l'on établissait une puissante marine. on ordonna la peine des galéres contre ceux de ces professions, qui tenteraient de s'échaper.

On remarqua, que plusieurs familles calvinistes vendaient leurs immeubles. aussitôt parut une déclaration, qui confisqua tous ces immeubles, en cas que les [p. 240] vendeurs sortissent dans un an du roiaume. alors la sévérité redoubla contre les ministres. on interdisait leurs temples sur la plus legére contravention. toutes les rentes, laissées par testament aux consistoires, furent appliquées aux hôpitaux du roiaume.

On défendit aux maîtres d'écoles calvinistes, de recevoir des pensionnaires. on mit les ministres à la taille. on ôta la noblesse aux maires protestans. les officiers de la maison du roi, les secretaires du roi, qui étaient protestans, eurent ordre de se défaire de leurs charges. on n'admit plus ceux de cette religion, ni parmi les notaires, ni parmi les procureurs & les avocats.

Il était enjoint à tout le clergé de faire des prosélites; & il était défendu aux ministres d'en faire, sous peine de bannissement perpétuel. tous ces arrêts étaient publiquement sollicités par le clergé de france. c'était après tout les enfans de la maison, qui ne voulaient point de partage avec des étrangers introduits par force.

Pélisson continuait d'acheter des convertis; mais madame hervard veuve du contrôleur-général des finances, animée de ce zéle de religion qu'on a remarqué de tout tems dans les femmes, envoiait [p. 241] autant d'argent pour empécher les conversions, que pellisson[sic] pour en faire.

Enfin les huguenots osérent désobéir en quelques endroits. ils s'assemblérent dans le vivarès & dans le dauphiné, près des lieux où l'on avait démoli leurs temples. on les attaqua; ils se défendirent. ce n'était qu'une très legére étincelle du feu des anciennes guerres civiles. deux ou trois-cent malheureux, sans chef, sans places & même sans desseins, furent dispersés en un quart d'heure. les supplices suivirent leur défaite. l'intendant du dauphiné fit rouër le petit-fils du ministre chamier qui avait dressé l'édit de nantes. il est au rang des plus fameux martyrs de la secte; & ce nom de chamier a été longtems en vénération chez les protestans.

L'intendant bâville, en languedoc fit rouër vif le ministre chomel. on condanna trois autres au même supplice, & dix à être pendus: la fuite qu'ils avaient prise les sauva; & ils ne furent éxécutés qu'en effigie.

Tout cela inspirait la terreur, & en même tems augmentait l'opiniâtreté. on sait trop, que les hommes s'attachent à leur religion à mesure qu'ils souffrent pour elle.

Ce fut alors qu'on persuada au roi, [p. 242] qu'après avoir envoié des missionnaires dans toutes les provinces, il falait y envoier des dragons. ces violences parurent faites à contretems; elles étaient les suites de l'esprit qui régnait alors à la cour, que tout devait fléchir au nom de louis XIV. on ne songeait pas, que les huguenots n'étaient plus ceux de jarnac, de moncontour & de coutras; que la rage des guerres civiles était éteinte; que cette longue maladie était dégénérée en langueur; que tout n'a qu'un tems chez les hommes; que si les péres avaient été rebelles sous louis XIII, les enfans étaient soûmis sous louis XIV. on voiait en angleterre, en hollande, en allemagne, plusieurs sectes, qui s'étaient mutuellement égorgées le siécle passé, vivre maintenant en paix dans les mêmes villes. tout prouvait, qu'un roi absolu pouvait être également bien servi par des catholiques & par des protestans. les luthériens d'alsace en étaient un témoignage autentique.

Louis XIV, qui en se saisissant de strasbourg en 1681 y protégeait le luthéranisme, pouvait tolérer dans ses états le calvinisme que le tems aurait aboli, comme il diminuë chaque jour le nombre des luthériens en alsace. pouvait-on imaginer, qu'en forçant un grand nombre de [p. 243] sujets on n'en perdrait pas davantage, qui malgré les édits & malgré les gardes, échaperaient par la fuite à une violence qu'ils appellaient une horrible persécution? pourquoi enfin vouloir faire haïr à un million d'hommes un nom chèr & précieux, auquel & protestans & catholiques & français & étrangers avaient alors joint celui de grand? la politique même semblait pouvoir engagèr à conserver les calvinistes, pour les opposèr aux prétentions continuelles de la cour de rome. c'était en ce tems-là même, que le roi avait ouvertement rompu avec innocent XI, ennemi de la france. mais louis XIV, conciliant les intérêts de sa religion & ceux de sa grandeur, voulut à la fois humilier le pape d'une main, & écraser le calvinisme de l'autre.

Il envisageait dans ces deux entreprises cet éclat de gloire, dont il était idolâtre en toutes choses. les évêques, plusieurs intendans, tout le conseil, lui persuadérent que ses soldats, en se montrant seulement, acheveraient ce que ses bienfaits & les missions avaient commencé. il crut n'user que d'autorité; mais ceux à qui cette autorité fut commise, usérent d'une extréme rigueur.

Vers la fin de 1684 & au commencement de 1685, tandis que louis XIV, [p. 244] toûjours puissamment armé, ne craignait aucun de ses voisins, les troupes furent envoiées dans toutes les villes & dans tous les châteaux, où il y avait le plus de protestans; & comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce tems-là, furent ceux qui commirent le plus d'excès, on appela cette éxécution la dragonade.

Les frontiéres étaient aussi soigneusement gardées qu'on le pouvait, pour prévenir la fuite de ceux qu'on voulait réunir à l'église. c'était une espéce de chasse qu'on faisait dans une grande enceinte.

Un évêque, un intendant, ou un subdélegué, ou un curé, ou quelqu'un d'autorisé, marchait à la tête des soldats. on assemblait les principales familles calvinistes, surtout celles qu'on croiait les plus faciles. elles renonçaient à leur religion au nom des autres: & les obstinés étaient livrés aux soldats, qui eurent toute licence excepté celle de tuer. il y eut pourtant plusieurs personnes si cruellement maltraitées, qu'elles en moururent. les enfans des réfugiés dans les païs étrangers jettent encor des cris sur cette persécution de leurs péres. ils la comparent aux plus violentes, que souffrit l'église dans les premiers tems.

C'était un étrange contraste, que du [p. 245] sein d'une cour voluptueuse où régnaient la douceur des mœurs, les graces, les charmes de la société, il partît des ordres si durs & si impitoiables. le marquis de louvois porta dans cette affaire l'infléxibilité de son caractére; & on y reconnut le même génie, qui avait voulu ensevelir la hollande sous les eaux, & qui depuis mit le palatinat en cendres. il y a encor des lettres de sa main de cette année 1685, conçuës en ces termes: «sa majesté veut, qu'on fasse éprouver les derniéres rigueurs à ceux qui ne voudront pas se faire de sa religion; & ceux qui auront la sotte gloire de vouloir demeurer les derniers, doivent être poussés jusqu'à la derniére extrémité.»

Paris ne fut point exposé à ces vexations: les cris se seraient fait entendre de trop près au trône.

Tandis qu'on faisait ainsi tomber partout les temples, & qu'on demandait dans les provinces des abjurations à main armée, l'édit de nantes fut enfin cassé au mois d'octobre 1685; & on acheva de ruiner l'édifice, qui était déja miné de toutes parts.

La chambre de l'édit avait déja été supprimée. il fut ordonné aux conseillers calvinistes du parlement, de se défaire de [p. 246] leurs charges. une foule d'arrêts du conseil parut coup sur coup, pour extirper les restes de la religion proscrite. celui qui paraissait le plus fatal, fut l'ordre d'arracher les enfans aux prétendus réformés, pour les remettre entre les mains des plus proches parens catholiques; ordre, contre lequel la nature réclamait à si haute voix, qu'il ne fut pas éxécuté.

Mais dans ce célébre édit qui revoqua celui de nantes, il paraît qu'on prépara un événement tout contraire au but qu'on s'était proposé. on voulait la réunion des calvinistes à l'église, dans le roiaume. gourville homme très judicieux, consulté par louvois, lui avait proposé, comme on sait, de faire enfermer tous les ministres, & de ne relâcher que ceux qui gagnés par des pensions secrettes, abjureraient en public, & serviraient à la réunion plus que des missionnaires & des soldats. au lieu de suivre cet avis politique, il fut ordonné par l'édit à tous les ministres qui ne voulaient pas se convertir, de sortir du roiaume dans quinze jours. c'était s'aveugler, que de penser qu'en chassant les pasteurs une grande partie du troupeau ne suivrait pas. c'était bien présumer de sa puissance & mal connaître les hommes, de croire que tant de cœurs ulcérés & tant d'imaginations échauffées [p. 247] par l'idée du martyre, surtout dans les païs méridionaux de la france, ne s'exposeraient pas à tout, pour aller chez les étrangers publier leur constance & la gloire de leur éxil, parmi tant de nations envieuses de louis XIV, qui tendaient les bras à ces troupes fugitives.

Le vieux chancelier le tellier, en signant l'édit, s'écria plein de joie: nunc dimittis servum tuum, domine, quia viderunt oculi mei salutare tuum. il ne savait pas qu'il signait un des grands malheurs de la france.

Louvois son fils se trompait encore, en croiant qu'il suffirait d'un ordre de sa main pour garder toutes les frontiéres & toutes les côtes, contre ceux qui se faisaient un devoir de la fuite. l'industrie occupée à tromper la loi, est toûjours plus forte que l'autorité. il suffisait de quelques gardes gagnés, pour favoriser la foule des réfugiés. prés de cinquante-mille familles en trois ans de tems sortirent du roiaume, & furent après suivies par d'autres. elles allérent porter chez les étrangers les arts, les manufactures, la richesse. presque tout le nord de l'allemagne, païs encor agreste & dénué d'industrie, reçut une nouvelle face de ces multitudes transplantées. elles peuplérent des villes entiéres. les étoffes, [p. 248] les galons, les chapeaux, les bas, qu'on achetait auparavant de la france, furent fabriqués par eux. un faubourg entier de londres fut peuplé d'ouvriers français en soie; d'autres y portérent l'art de donner la perfection aux cristaux, qui fut alors perdu en france. on trouve encor très communément dans l'allemagne l'or que les réfugiés y répandirent. ainsi la france perdit environ cinq-cent-mille habitans, une quantité prodigieuse d'espéces, & surtout des arts dont ses ennemis s'enrichirent. la hollande y gagna d'excellens officiers & des soldats. le prince d'orange eut des régimens entiers de réfugiés. il y en eut qui s'établirent jusques vers le cap de bonne-espérance. le neveu du célébre du quêne, lieutenant-général de la marine, fonda une colonie à cette extrémité de la terre.

Ce fut en vain qu'on remplit les prisons & les galéres de ceux qu'on arréta dans leur fuite. que faire de tant de malheureux, affermis dans leur créance par les tourmens? comment laissèr aux galéres des gens de loi, des vieillards infirmes? on en fit embarquer quelques centaines pour l'amérique. enfin le conseil imagina, que quand la sortie du roiaume ne serait plus défenduë, les esprits n'étant plus animés par le plaisir secret de [p. 249] désobéir, il y aurait moins de désertions. on se trompa encor; & après avoir ouvert les passages, on les referma inutilement une seconde fois.

Tous les temples détruits, tous les ministres bannis, il s'agissait de retenir dans la communion romaine tous ceux qui avaient changé par persuasion ou par crainte. il en restait près de quatre-cent-mille dans le roiaume. ils étaient obligés d'allèr à la messe & de communier. quelques-uns, qui rejettérent l'hostie après l'avoir reçuë, furent condannés à être brûlés vifs. les corps de ceux qui ne voulaient pas recevoir les sacremens à la mort, étaient traînés sur la claie & jettés à la voirie.

Toute persécution fait des prosélites, quand elle frape pendant la chaleur de l'enthousiasme. les calvinistes s'assemblérent partout pour chanter leurs pseaumes, malgré la peine de mort décernée contre ceux qui tiendraient les assemblées. il y avait aussi peine de mort contre les ministres qui rentreraient dans le roiaume, & cinq-mille-cinq-cent livres de récompense pour qui les dénoncerait. il en revint plusieurs, qu'on fit périr par la corde ou par la rouë.

La secte subsista en paraissant écrasée. elle espéra en vain dans la guerre de [p. 250] 1689, que le roi guillaume, qui avait détrôné son beau-pére catholique, soûtiendrait en france le calvinisme. mais dans la guerre de 1701 la rébellion & le fanatisme éclatérent en languedoc.

Il y avait déja long-tems, que dans les montagnes des cévennes & du vivarès il s'élevait des inspirés & des prophétes. un vieil huguenot, nommé de serres, avait tenu école de prophétie. il montrait aux enfans les paroles de l'écriture, qui disent: «quand trois ou quatre sont assemblés en mon nom, mon esprit est parmi eux; & avec un grain de foi on transportera des montagnes.» ensuite il recevait l'esprit: il était hors de lui-même: il avait des convulsions: il changeait de voix: il restait immobile, égaré, les cheveux hérissés, selon l'ancien usage de toutes les nations, & selon ces régles de démence transmises de siécle en siécle. les enfans recevaient ainsi le don de prophétie; & s'ils ne transportaient pas des montagnes, c'est qu'ils avaient assez de foi pour recevoir l'esprit, & pas assez pour faire des miracles: ainsi ils redoublaient de ferveur pour obtenir ce dernier don.

Tandis que les cévennes étaient ainsi l'école de l'enthousiasme, des ministres qu'on appelait apôtres, revenaient en secret précher les peuples.

[p. 251] Claude brousson d'une famille de nîmes considérée, homme éloquent & plein de zéle, très estimé chez les étrangers, retourne précher dans sa patrie en 1698: il y est convaincu, non seulement d'avoir rempli son ministére malgré les édits, mais d'avoir eû dix ans auparavant des intelligences avec les ennemis de l'état. l'intendant bâville le condanne à la rouë. il meurt comme mouraient les premiers martyrs. toute la secte, tous les étrangers, oublient qu'il a été criminel d'état, & ne voïent en lui qu'un saint, qui a scélé sa foi de son sang.

Alors les prophétes se multiplient, & l'esprit de fureur redouble. il arrive malheureusement, qu'en 1703 un abbé de la maison du chailat, inspecteur des missions, obtient un ordre de la cour, de faire enfermer dans un couvent deux filles d'un gentil-homme, nouveau converti. au lieu de les conduire au couvent, il les méne d'abord dans son château. les calvinistes s'attroupent: on enfonce les portes: on délivre les deux filles & quelques autres prisonniers. les séditieux saisissent l'abbé du chailat; ils lui offrent la vie, s'il veut être de leur religion. il la refuse. un prophéte lui crie: meurs donc, l'esprit te condanne, ton péché est contre toi: & il est tué à coups de fusil. aussitôt [p. 252] après ils saisissent les receveurs de la capitation, & les pendent avec leurs rôles au cou. de-là ils se jettent sur les prêtres qu'ils rencontrent & les massacrent. on les poursuit: ils se retirent au milieu des bois & des rochers. leur nombre s'accroît. leurs prophétes & leurs prophétesses leur annoncent de la part de Dieu le rétablissement de jérusalem & la chûte de babylone. un abbé de la bourlie paraît tout à coup au milieu d'eux dans leurs retraites sauvages, & leur apporte de l'argent & des armes.

C'était le fils du marquis de guiscard sous-gouverneur du roi, l'un des plus sages hommes du roiaume. le fils était bien indigne d'un tel pére. réfugié en hollande pour un crime, il va exciter les cévennes à la révolte. on le vit quelque-tems après passèr à londres, où il fut arrété pour avoir trahi le ministére anglais, après avoir trahi son païs. amené devant le conseil, il prit sur la table un de ces longs canifs, avec lesquels on peut commettre un meurtre; il en frapa le grand trésorier harlay, & on le conduisit en prison chargé de fèrs. il prévint son supplice en se donnant la mort lui-même. ce fut donc cet homme, qui au nom des anglais, des hollandais & du duc de savoie, vint encourager les fanatiques, [p. 253] & leur promettre de puissans secours.

Une grande partie du païs les favorisait secrettement. leur cri de guerre était: point d'impôts & liberté de conscience. ce cri séduit partout la populace. ces fureurs justifiaient le dessein, qu'avait eû louis XIV, d'extirper le calvinisme. mais sans la révocation de l'édit de nantes, on n'aurait pas eû à combattre ces fureurs.

Le roi envoie d'abord le maréchal de mont-revel avec quelques troupes. il fit la guerre à ces misérables comme ils méritaient qu'on la leur fît. on rouë, on brûle les prisonniers. mais aussi les soldats, qui tombent entre les mains des révoltés, périssent par des morts cruelles. le roi, obligé de soûtenir la guerre partout, ne pouvait envoier contre eux que peu de troupes. il était difficile de les surprendre, dans des rochers presque inaccessibles alors, dans des cavernes, dans des bois où ils se rendaient par des chemins non fraiés, & dont ils descendaient tout à coup comme des bêtes féroces. ils défirent même dans un combat réglé le régiment de la marine. on emploia contre eux successivement trois maréchaux de france. au maréchal de mont-revel succéda en 1704 le maréchal de villars.

[p. 254] Comme il lui était plus difficile encor de les trouver que de les battre, le maréchal de villars, après s'être fait craindre, leur fit proposèr une amnistie. quelques-uns d'entre eux y consentirent, détrompés des promesses d'être secourus par la savoie.

Le plus accrédité de leurs chefs & le seul qui mérite d'être nommé, était cavalier. je l'ai vu depuis en hollande & en angleterre. c'était un petit homme blond, d'une physionomie douce & agréable. on l'appelait david dans son parti. de garçon boulanger, il était devenu chef d'une assez grande multitude, à l'âge de vingt-trois ans, par son courage & à l'aide d'une prophétesse qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du saint-esprit. on le trouva à la tête de huit-cent hommes qu'il enrégimentait, quand on lui proposa l'amnistie. il demanda des ôtages: on lui en donna. il vint suivi d'un des chefs à nîmes, où il traita avec le maréchal de villars.

Il promit de former quatre régimens des révoltés, qui serviraient le roi sous quatre colonels, dont il serait le premier & dont il nomma les trois autres. ces régimens devaient avoir l'éxercice libre de leur religion, comme les troupes étrangéres à la solde de france. mais cet [p. 255] éxercice ne devait point être permis ailleurs.

On acceptait ces conditions, quand des émissaires de hollande vinrent en empécher l'effet avec de l'argent & des promesses. ils détachérent de cavalier les principaux fanatiques. mais aiant donné sa parole au maréchal de villars, il la voulut tenir. il accepta le brévet de colonel, & commença à former son régiment avec cent-trente hommes qui lui étaient affectionnés.

J'ai entendu souvent de la bouche du maréchal de villars, qu'il avait demandé à ce jeune homme, comment il pouvait à son âge avoir eû tant d'autorité sur des hommes si féroces & si indisciplinables. il répondit, que quand on lui désobéissait, sa prophétesse, qu'on appelait la grande-marie, était sur le champ inspirée, & condannait à mort les réfractaires qu'on tuait sans raisonner.20 aiant fait depuis la même question à cavalier, j'en eus la même réponse.

[p. 256] Cette négociation singuliére se faisait après la bataille d'hochstet. louis XIV, qui avait proscrit le calvinisme avec tant de hauteur, fit la paix, sous le nom d'amnistie, avec un garçon boulanger; & le maréchal de villars lui présenta le brévet de colonel & celui d'une pension de douze-cent livres.

Le nouveau colonel alla à versailles, il y reçut les ordres du ministre de la guerre. le roi le vit, & haussa les épaules. cavalier, observé par le ministére, craignit & se retira en piémont. de-là il passa en hollande & en angleterre. il fit la guerre en espagne, & y commanda un régiment. il est mort officier général & gouverneur de l'île de garnezay, avec une grande réputation de valeur, n'aiant de ses premiéres fureurs conservé que le courage, & aiant peu-à-peu substitué la prudence à un fanatisme qui n'était plus soûtenu par l'éxemple.

Le maréchal de villars, rappelé du languedoc, fut remplacé par le maréchal de barvick. les malheurs des armes du roi enhardissaient alors les fanatiques du languedoc, qui espéraient les secours du ciel & en recevaient des alliés. on leur faisait toucher de l'argent par la voie de genéve. ils attendaient des officiers, qui devaient leur être envoiés de hollande & [p. 257] d'angleterre. ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

On peut mettre au rang des plus grandes conspirations, celle qu'ils formérent, de saisir dans nîmes le duc de barvick & l'intendant bâville, de faire révolter le languedoc & le dauphiné, & d'y introduire les ennemis. le secret fut gardé par plus de mille conjurés. l'indiscrétion d'un seul fit tout découvrir. plus de deux-cent personnes périrent dans les supplices. le maréchal de barvick fit exterminer par le fèr & par le feu tout ce qu'on rencontra de ces malheureux. les uns moururent les armes à la main; les autres sur les rouës ou dans les flammes. quelques-uns, plus adonnés à la prophétie qu'aux armes, trouvérent moien d'allèr en hollande. les réfugiés français les y reçurent comme des envoiés célestes. ils allérent au-devant d'eux, chantant des pseaumes & jonchant leur chemin de branches d'arbres. ces prophétes allérent ensuite en angleterre. mais trouvant que l'église épiscopale tenait trop de l'église romaine, ils voulurent faire dominer la leur. leur persuasion était si pleine, que ne doutant pas qu'avec beaucoup de foi on ne fît beaucoup de miracles, ils offrirent de ressuscitèr un mort, & même tel mort que l'on voudrait choisir. partout le peuple [p. 258] est peuple; & les presbytériens pouvaient se joindre à ces fanatiques contre le clergé anglican. le ministére anglais prit le parti qu'on aurait dû toûjours prendre avec les hommes à miracles. on leur permit de déterrèr un mort dans le cimetiére de l'église cathédrale. la place fut entourée de gardes. tout se passa juridiquement. la scéne finit par mettre au pilori les prophétes.

Cependant en france, le tems, la prudence du gouvernement, & les progrès de la raison ont rendu les calvinistes tranquiles: leur nombre est diminué avec l'enthousiasme.