ISSN 2271-1813

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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 142] CHAPITRE SEPTIÉME.

Conquête de la flandre.

L'occasion se présenta bientôt à un roi qui la cherchait. philippe IV son beau-pére mourut: il avait eû de sa premiére femme, sœur de louis XIII, cette princesse marie-thérése mariée à son cousin louis XIV; mariage, par lequel la monarchie espagnole est enfin tombée dans la maison de bourbon, si longtems son ennemie. de son second mariage avec marie-anne d'aûtriche, il avait eû charles second, enfant faible & malsain, héritier de sa couronne & seul reste de trois enfans mâles, dont deux étaient morts en bas âge. louis XIV prétendit, que la flandre & la franche-comté, provinces du roiaume d'espagne, devaient [p. 143] selon la jurisprudence de ces provinces, revenir à sa femme, malgré sa renonciation. si les causes des rois pouvaient se juger par les loix des nations à un tribunal désintéressé, l'affaire eût été un peu douteuse.

Louis fit éxaminer ses droits par son conseil & par des théologiens, qui les jugérent incontestables; mais le conseil & le confesseur de la veuve de philippe IV les trouvaient bien mauvais. elle avait pour elle une puissante raison, la loi expresse de charles-quint; mais les loix de charles-quint n'étaient guéres suivies par la cour de france.

Un de ces prétextes, que prenait le conseil du roi, était que les cinq-cent-mille écus donnés en dot à sa femme, n'avaient point été païés; mais on oubliait, que la dot de la fille de henri IV, ne l'avait pas été davantage. la france & l'espagne combattirent d'abord par des écrits, où l'on étala des calculs de banquier & des raisons d'avocat; mais la seule raison d'état était écoutée.

[M] Le roi, comptant encor plus sur ses forces que sur ses raisons, marcha en flandre à des conquêtes assurées. il était à la tête de trente-cinq-mille hommes: un autre corps de huit-mille fut envoié vers dunkerque; un de quatre-mille vers [p. 144] luxembourg. turenne était sous lui le général de cette armée. colbert avait multiplié les ressources de l'état, pour fournir à ces dépenses. louvois, nouveau ministre de la guerre, avait fait des préparatifs immenses pour la campagne. des magazins de toute espéce étaient distribués sur la frontiére. il introduisit le premier cette méthode avantageuse, que la faiblesse du gouvernement avait jusqu'alors renduë impraticable, de faire subsister les armées par magazin: quelque siége que le roi voulût faire, de quelque côté qu'il tournât ses armes, les secours & les subsistances étaient prêtes, les logemens des troupes marqués, leurs marches réglées. la discipline, renduë plus sévére de jour en jour par l'austérité infléxible du ministre, enchainait tous les officiers à leur devoir. la présence d'un jeune roi, l'idole de son armée, leur rendait la dureté de ce devoir aisée & chére. le grade militaire commença dès-lors à être un droit beaucoup au dessus de celui de la naissance. les services, & non les aieux, furent comptés, ce qui ne s'était guéres vu encore. par là l'officier de la plus médiocre naissance fut encouragé, sans que ceux de la plus haute eûssent à se plaindre. l'infanterie, sur qui tombait tout le poids de la guerre depuis [p. 145] l'inutilité reconnuë des lances, partagea les récompenses, dont la cavalerie était en possession. des maximes nouvelles dans le gouvernement inspiraient un nouveau courage.

Le roi, entre un chef & un ministre également habiles, tous deux jaloux l'un de l'autre & ne l'en servant que mieux, suivi des meilleures troupes de l'europe, enfin ligué de nouveau avec le portugal, attaquait avec tous ces avantages une province mal défenduë d'un roiaume ruiné & déchiré. il n'avait à faire qu'à sa belle-mére, femme faible dont le gouvernement malheureux laissait la monarchie espagnole sans défense. la veuve de philippe IV avait pris pour son premier ministre, un jésuite allemand son confesseur, nommé le pére nitard, homme aussi capable de dominer sur sa pénitante, qu'incapable de gouvernèr un état, n'aiant rien d'un ministre & d'un prêtre, que la hauteur & l'ambition. il osa dire un jour au duc de lerme, même avant de gouverner: C'est vous qui me devez du respect, puisque j'ai tous les jours votre dieu dans mes mains, & votre reine à mes pieds. avec cette fierté si contraire à la vraie grandeur d'esprit, il laissait le trésor sans argent, les places de toute la monarchie en ruine, les ports sans vaisseaux, les [p. 146] armées sans discipline, destituées de chefs, mal païées, & plus mal conduites devant un ennemi, qui avait tout ce qui manquait à l'espagne.

L'art d'attaquer les places comme aujourd'hui, n'était pas encor perfectionné, parce que celui de les bien fortifièr & de les bien défendre, était plus ignoré. les frontiéres de la flandre espagnole étaient presque sans fortifications & sans garnisons.

Louis n'eut qu'à se présenter devant elles. il entra dans charleroi, comme dans paris; ath, tournai, furent prises en deux jours; furnes, armentiéres, [M] courtrai, ne tinrent pas davantage. il descendit dans la tranchée devant douai, & [M] elle se rendit le lendemain. lille, la plus florissante ville de ces païs, la seule bien fortifiée, & qui avait une garnison de six-mille hommes, [M] capitula après neuf jours de siége. les espagnols n'avaient que huit-mille hommes à opposèr à l'armée victorieuse; encore l'arriére-garde de cette petite armée fut-elle [M] taillée en piéces par le marquis, depuis maréchal de créqui. le reste se cacha sous bruxelles & sous mons, laissant le roi vaincre sans combattre.

Cette campagne, faite au milieu de la plus grande abondance, parmi des succès [p. 147] si faciles, parut le voiage d'une cour. la bonne chére, le luxe & les plaisirs s'introduisirent alors dans nos armées, dans le tems même que la discipline s'affermissait. les officiers faisaient le devoir militaire beaucoup plus éxactement, mais avec des commodités plus recherchées. le maréchal de turenne n'avait eû longtems que des assiettes de fèr en campagne. le marquis d'humiéres fut le premier, au siége d'arras en 1658, qui se fit servir en vaisselle d'argent à la tranchée, & qui y fit manger des ragoûts & des entremets. mais dans cette campagne de 1667, où un jeune roi aimant la magnificence, étalait celle de sa cour dans les fatigues de la guerre, tout le monde se piqua de somptuosité & de goût dans la bonne chére, dans les habits, dans les équipages. ce luxe-là, marque certaine [errata: ce luxe, la marque certaine] de la richesse d'un grand état, & souvent la cause de la décadence d'un petit, était cependant encor très peu de chose, auprès de celui qu'on a vu depuis. le roi, ses généraux & ses ministres, allaient au rendez-vous de l'armée à cheval, au-lieu qu'aujourd'hui il n'y a point de capitaine de cavalerie, ni de secrétaire d'un officier général, qui ne fasse ce voiage en chaise de poste avec des glaces & des ressorts, plus commodément & plus [p. 148] tranquilement, qu'on ne faisait alors une visite dans paris d'un quartier à un autre.

La délicatesse des officiers ne les empéchait point alors d'allèr à la tranchée, avec le pot en tête & la cuirasse sur le dos. le roi en donnait l'éxemple: il alla ainsi à la tranchée devant douai & devant lille. cette conduite sage conserva plus d'un grand homme. elle a été trop négligée depuis par des jeunes-gens peu robustes, pleins de valeur mais de mollesse, & qui semblent plus craindre la fatigue que le danger.

La rapidité de ces conquêtes remplit d'allarmes bruxelles; les citoiens transportaient déja leurs effets dans anvers. la conquête de la flandre entiére pouvait être l'ouvrage d'une campagne. il ne manquait au roi que des troupes assez nombreuses, pour garder les places, prêtes à s'ouvrir à ses armes. louvois lui conseilla de mettre de grosses garnisons dans les villes prises, & de les fortifier. vauban, l'un de ces grands hommes & de ces génies qui parurent dans ce siécle pour le service de louis XIV, fut chargé de ces fortifications. il les fit suivant sa méthode nouvelle, devenuë aujourd'hui la régle de tous les bons ingénieurs. on fut étonné de ne voir plus les places revétuës, [p. 149] que d'ouvrages presque au niveau de la campagne. les fortifications hautes & menaçantes n'en étaient que plus exposées à être foudroiées par l'artillerie: plus il les rendit razantes, moins elles étaient en prise. il construisit [M] la citadelle de lille sur ces principes. on n'avait point encor en france détaché le gouvernement d'une ville de celui de la forteresse. l'éxemple commença en faveur de vauban; il fut le premier gouverneur d'une citadelle. on peut encor observer, que le premier de ces plans en relief qu'on voit dans la galerie du louvre, fut celui des fortifications de lille.

Le roi se hâta de venir jouir des acclamations des peuples, des adorations de ses courtisans & de ses maîtresses, & des fêtes qu'il donna à sa cour.

[p. 142] CHAPITRE SEPTIÉME.

Conquête de la flandre.

L'occasion se présenta bientôt à un roi qui la cherchait. philippe IV son beau-pére mourut: il avait eû de sa premiére femme, sœur de louis XIII, cette princesse marie-thérése mariée à son cousin louis XIV; mariage, par lequel la monarchie espagnole est enfin tombée dans la maison de bourbon, si longtems son ennemie. de son second mariage avec marie-anne d'aûtriche, il avait eû charles second, enfant faible & malsain, héritier de sa couronne & seul reste de trois enfans mâles, dont deux étaient morts en bas âge. louis XIV prétendit, que la flandre & la franche-comté, provinces du roiaume d'espagne, devaient [p. 143] selon la jurisprudence de ces provinces, revenir à sa femme, malgré sa renonciation. si les causes des rois pouvaient se juger par les loix des nations à un tribunal désintéressé, l'affaire eût été un peu douteuse.

Louis fit éxaminer ses droits par son conseil & par des théologiens, qui les jugérent incontestables; mais le conseil & le confesseur de la veuve de philippe IV les trouvaient bien mauvais. elle avait pour elle une puissante raison, la loi expresse de charles-quint; mais les loix de charles-quint n'étaient guéres suivies par la cour de france.

Un de ces prétextes, que prenait le conseil du roi, était que les cinq-cent-mille écus donnés en dot à sa femme, n'avaient point été païés; mais on oubliait, que la dot de la fille de henri IV, ne l'avait pas été davantage. la france & l'espagne combattirent d'abord par des écrits, où l'on étala des calculs de banquier & des raisons d'avocat; mais la seule raison d'état était écoutée.

[M] Le roi, comptant encor plus sur ses forces que sur ses raisons, marcha en flandre à des conquêtes assurées. il était à la tête de trente-cinq-mille hommes: un autre corps de huit-mille fut envoié vers dunkerque; un de quatre-mille vers [p. 144] luxembourg. turenne était sous lui le général de cette armée. colbert avait multiplié les ressources de l'état, pour fournir à ces dépenses. louvois, nouveau ministre de la guerre, avait fait des préparatifs immenses pour la campagne. des magazins de toute espéce étaient distribués sur la frontiére. il introduisit le premier cette méthode avantageuse, que la faiblesse du gouvernement avait jusqu'alors renduë impraticable, de faire subsister les armées par magazin: quelque siége que le roi voulût faire, de quelque côté qu'il tournât ses armes, les secours & les subsistances étaient prêtes, les logemens des troupes marqués, leurs marches réglées. la discipline, renduë plus sévére de jour en jour par l'austérité infléxible du ministre, enchainait tous les officiers à leur devoir. la présence d'un jeune roi, l'idole de son armée, leur rendait la dureté de ce devoir aisée & chére. le grade militaire commença dès-lors à être un droit beaucoup au dessus de celui de la naissance. les services, & non les aieux, furent comptés, ce qui ne s'était guéres vu encore. par là l'officier de la plus médiocre naissance fut encouragé, sans que ceux de la plus haute eûssent à se plaindre. l'infanterie, sur qui tombait tout le poids de la guerre depuis [p. 145] l'inutilité reconnuë des lances, partagea les récompenses, dont la cavalerie était en possession. des maximes nouvelles dans le gouvernement inspiraient un nouveau courage.

Le roi, entre un chef & un ministre également habiles, tous deux jaloux l'un de l'autre & ne l'en servant que mieux, suivi des meilleures troupes de l'europe, enfin ligué de nouveau avec le portugal, attaquait avec tous ces avantages une province mal défenduë d'un roiaume ruiné & déchiré. il n'avait à faire qu'à sa belle-mére, femme faible dont le gouvernement malheureux laissait la monarchie espagnole sans défense. la veuve de philippe IV avait pris pour son premier ministre, un jésuite allemand son confesseur, nommé le pére nitard, homme aussi capable de dominer sur sa pénitante, qu'incapable de gouvernèr un état, n'aiant rien d'un ministre & d'un prêtre, que la hauteur & l'ambition. il osa dire un jour au duc de lerme, même avant de gouverner: C'est vous qui me devez du respect, puisque j'ai tous les jours votre dieu dans mes mains, & votre reine à mes pieds. avec cette fierté si contraire à la vraie grandeur d'esprit, il laissait le trésor sans argent, les places de toute la monarchie en ruine, les ports sans vaisseaux, les [p. 146] armées sans discipline, destituées de chefs, mal païées, & plus mal conduites devant un ennemi, qui avait tout ce qui manquait à l'espagne.

L'art d'attaquer les places comme aujourd'hui, n'était pas encor perfectionné, parce que celui de les bien fortifièr & de les bien défendre, était plus ignoré. les frontiéres de la flandre espagnole étaient presque sans fortifications & sans garnisons.

Louis n'eut qu'à se présenter devant elles. il entra dans charleroi, comme dans paris; ath, tournai, furent prises en deux jours; furnes, armentiéres, [M] courtrai, ne tinrent pas davantage. il descendit dans la tranchée devant douai, & [M] elle se rendit le lendemain. lille, la plus florissante ville de ces païs, la seule bien fortifiée, & qui avait une garnison de six-mille hommes, [M] capitula après neuf jours de siége. les espagnols n'avaient que huit-mille hommes à opposèr à l'armée victorieuse; encore l'arriére-garde de cette petite armée fut-elle [M] taillée en piéces par le marquis, depuis maréchal de créqui. le reste se cacha sous bruxelles & sous mons, laissant le roi vaincre sans combattre.

Cette campagne, faite au milieu de la plus grande abondance, parmi des succès [p. 147] si faciles, parut le voiage d'une cour. la bonne chére, le luxe & les plaisirs s'introduisirent alors dans nos armées, dans le tems même que la discipline s'affermissait. les officiers faisaient le devoir militaire beaucoup plus éxactement, mais avec des commodités plus recherchées. le maréchal de turenne n'avait eû longtems que des assiettes de fèr en campagne. le marquis d'humiéres fut le premier, au siége d'arras en 1658, qui se fit servir en vaisselle d'argent à la tranchée, & qui y fit manger des ragoûts & des entremets. mais dans cette campagne de 1667, où un jeune roi aimant la magnificence, étalait celle de sa cour dans les fatigues de la guerre, tout le monde se piqua de somptuosité & de goût dans la bonne chére, dans les habits, dans les équipages. ce luxe-là, marque certaine [errata: ce luxe, la marque certaine] de la richesse d'un grand état, & souvent la cause de la décadence d'un petit, était cependant encor très peu de chose, auprès de celui qu'on a vu depuis. le roi, ses généraux & ses ministres, allaient au rendez-vous de l'armée à cheval, au-lieu qu'aujourd'hui il n'y a point de capitaine de cavalerie, ni de secrétaire d'un officier général, qui ne fasse ce voiage en chaise de poste avec des glaces & des ressorts, plus commodément & plus [p. 148] tranquilement, qu'on ne faisait alors une visite dans paris d'un quartier à un autre.

La délicatesse des officiers ne les empéchait point alors d'allèr à la tranchée, avec le pot en tête & la cuirasse sur le dos. le roi en donnait l'éxemple: il alla ainsi à la tranchée devant douai & devant lille. cette conduite sage conserva plus d'un grand homme. elle a été trop négligée depuis par des jeunes-gens peu robustes, pleins de valeur mais de mollesse, & qui semblent plus craindre la fatigue que le danger.

La rapidité de ces conquêtes remplit d'allarmes bruxelles; les citoiens transportaient déja leurs effets dans anvers. la conquête de la flandre entiére pouvait être l'ouvrage d'une campagne. il ne manquait au roi que des troupes assez nombreuses, pour garder les places, prêtes à s'ouvrir à ses armes. louvois lui conseilla de mettre de grosses garnisons dans les villes prises, & de les fortifier. vauban, l'un de ces grands hommes & de ces génies qui parurent dans ce siécle pour le service de louis XIV, fut chargé de ces fortifications. il les fit suivant sa méthode nouvelle, devenuë aujourd'hui la régle de tous les bons ingénieurs. on fut étonné de ne voir plus les places revétuës, [p. 149] que d'ouvrages presque au niveau de la campagne. les fortifications hautes & menaçantes n'en étaient que plus exposées à être foudroiées par l'artillerie: plus il les rendit razantes, moins elles étaient en prise. il construisit [M] la citadelle de lille sur ces principes. on n'avait point encor en france détaché le gouvernement d'une ville de celui de la forteresse. l'éxemple commença en faveur de vauban; il fut le premier gouverneur d'une citadelle. on peut encor observer, que le premier de ces plans en relief qu'on voit dans la galerie du louvre, fut celui des fortifications de lille.

Le roi se hâta de venir jouir des acclamations des peuples, des adorations de ses courtisans & de ses maîtresses, & des fêtes qu'il donna à sa cour.